Le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) peut utiliser des informations obtenues sous la torture dans certaines circonstances, estime le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews.

Cette position, contenue dans une lettre envoyée par le ministre au directeur du SCRS en décembre dernier, a été dénoncée comme un changement de cap important et inquiétant du gouvernement Harper sur cette question. Les partis de l'opposition et des défenseurs des droits de la personne l'ont accusé d'ouvrir la voie à des abus graves qui pourraient même mettre en danger la vie de Canadiens à l'étranger. Ils le pressent de clarifier sa position.

«Dans des circonstances exceptionnelles où il existe une menace à la vie humaine ou à la sécurité publique, des impératifs opérationnels urgents peuvent pousser le SCRS à [...] partager les renseignements les plus complets possible [...] avec les autorités compétentes, y compris les informations basées sur des renseignements fournis par des agences étrangères qui peuvent résulter de l'utilisation de la torture ou de mauvais traitements», peut-on lire en anglais dans la lettre adressée au directeur Richard Fadden, et que La Presse Canadienne a obtenue en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Le ministre précise par la suite que la décision d'utiliser ou non ces informations à des fins d'analyse et d'enquête doit être prise «conformément aux obligations légales canadiennes».

Changement de ton

En 2009, le prédécesseur de Vic Toews, Peter Van Loan, avait affirmé: «S'il y a une quelconque indication qu'on a eu recours à la torture, l'information est mise de côté. C'est aussi simple que cela.»

Au parlement, mardi, le ministre Toews s'en est tenu à une brève déclaration, dans laquelle il a réitéré les propos tenus dans sa lettre. «Le Canada n'encourage pas la torture et ne pratique pas la torture. Le SCRS et ses employés sont soumis à la loi canadienne», a-t-il commencé par dire.

Mais le gouvernement Harper «s'attend à ce que le SCRS et les agences de sécurité fassent de la protection de la vie et de la propriété sa première priorité», a-t-il ajouté.

Le ministre en a remis quelques secondes plus tard. «L'information obtenue sous la torture est toujours écartée, a-t-il dit. Mais le problème est: est-ce qu'elle peut être ignorée de manière sécuritaire si des vies et des biens canadiens sont en jeu?»

Pas fiable

Les partis de l'opposition ont été unanimes à condamner cette position. Selon eux, le Canada contrevient à ses obligations internationales à partir du moment où il se fie à des renseignements obtenus sous la torture, dont la fiabilité est plus que douteuse.

«La torture est moralement répugnante. Elle n'est pas fiable. Et le Canada ne devrait pas encourager ceux qui commettent de tels actes», a soutenu le critique du Nouveau Parti démocratique en matière de justice, Jack Harris.

Le chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae, a demandé au ministre de déposer sa directive à la Chambre des communes. «Et peut-il expliquer en quoi cette directive [...] est compatible avec les obligations canadiennes en vertu du droit international et la décision de la Cour suprême du Canada?», a-t-il réclamé.

Le ministre de la Sécurité publique a laissé son collègue de l'Immigration, Jason Kenney, répondre à sa place. Au bureau de M. Toews, on a indiqué que le gouvernement pourrait donner plus de détails sur sa position aujourd'hui.

Amnistie internationale a aussi dénoncé la nouvelle directive canadienne. «Il n'y a rien au monde qui justifie le recours à la torture. C'est illégal en toutes circonstances et c'est illégal en toutes circonstances d'accepter des aveux qui ont été obtenus sous la torture», a fait valoir la porte-parole Anne Sainte-Marie.