Vous êtes membre des services de sécurité canadiens. Vous recevez un appel provenant d'une entité étrangère, qui a la réputation de se livrer à la torture. On vous dit que, dans quelques minutes, une bombe pourrait exploser dans un avion au Canada. Comment réagissez-vous? Tentez-vous d'aider les personnes à bord? Ou ignorez-vous ces renseignements, par principe?

C'est en utilisant cet exemple que le ministre de la Sécurité publique, Vic Toews, a tenté hier de justifier la nouvelle directive ministérielle fournie à ses services de sécurité depuis un an et qui permet l'utilisation d'informations susceptibles d'avoir été obtenues par la torture «dans certaines circonstances».

L'argument a été sévèrement critiqué par les partis de l'opposition et des experts consultés par La Presse. Selon eux, le gouvernement canadien a mis le doigt dans le dangereux engrenage de la torture, point final. Et sa nouvelle politique est illégale - sans parler du danger posé par l'utilisation d'informations réputées non fiables.

«C'est une suggestion absurde que de dire qu'il y a une séance de torture à la Jack Bauer (de l'émission 24 heures chrono) qui se déroule quelque part, pour qu'ensuite l'information soit remise au Canada... C'est tellement en dehors de toute notion de réalité que ça ne peut servir de base à une politique publique!», a tonné Jack Harris, porte-parole du NPD dans le dossier.

Directive du 23 août

La directive ministérielle obtenue par La Presse, datée du 23 août dernier et adressée au directeur du Service canadien du renseignement de sécurité, Richard Fadden, prévoit que, «dans des circonstances exceptionnelles, le SCRS pourrait devoir partager l'information la plus complète qui se trouve en sa possession, incluant de l'information provenant d'une entité étrangère qui est probablement dérivée de mauvais traitements, afin de mitiger une menace sérieuse de perte de vie, de blessure ou de dommage substantiel ou de destruction d'un bien».

La directive rappelle que le Canada respecte ses engagements juridiques, tant nationaux qu'internationaux, et qu'il s'oppose à la torture «de la manière la plus vive» et ne l'encourage d'aucune manière. C'était la position formulée par le ministre de la Sécurité publique en poste en 2009, Peter Van Loan.

Mais l'exception des «circonstances exceptionnelles», énoncée initialement dans une lettre du ministre Toews au directeur Fadden en décembre 2010 et précisée dans la directive de juillet 2011, marque un pas en avant dans ce dossier. Et plusieurs s'en inquiètent.

«C'est une directive équivoque, laconique et malicieuse. Elle ouvre la porte à l'acceptation de la torture ou à la promotion de la torture», a dénoncé Jabeur Fathally, professeur de droit international à l'Université d'Ottawa. Selon lui, ces notions d'«urgence», de «perte de vie» ou de «circonstances exceptionnelles» sont beaucoup trop vagues et laissent une trop grande marge de manoeuvre aux services de renseignements, ouvrant la voie à des abus de toutes sortes.

«C'est une norme absolue, a tranché quant à lui son collègue de l'Université Laval, le professeur de droit international Olivier Delas. C'est un droit auquel on ne peut déroger. Tout ce qui pourrait permettre ou encourager la torture doit être éradiqué. Ça, c'est le droit.»

Le ministre de la Sécurité publique a une position différente. Appelé par le néo-démocrate Jack Harris à expliquer cette nouvelle directive, durant la période de questions hier, Vic Toews a répliqué: «Voici un député qui, s'il savait qu'il y a un avion avec de ses électeurs à bord, des hommes, des femmes et des enfants, et qu'il obtenait de l'information qui provient d'une source douteuse, ne ferait rien!»

«Est-ce que c'est vraiment de cela qu'il est question? a demandé le professeur Delas. Je ne crois pas. Parce que je suis convaincu qu'en définitive, si on savait qu'il y avait une bombe dans une grande ville, on ne se préoccuperait même pas de savoir d'où vient l'information. On agirait.»