Dans un colloque réunissant à Vancouver des scientifiques et des journalistes de partout dans le monde, le gouvernement fédéral a été accusé hier de museler ses quelque 20 000 scientifiques.

Trou dans la couche d'ozone en Arctique, virus touchant le saumon, même une inondation survenue il y a 14 000 ans, il semble que toute la science est désormais politique au Canada.

Le colloque fait partie de la conférence annuelle de l'Association américaine pour l'avancement des sciences (AAAS), qui se tient au Canada pour la première fois depuis 30 ans et qui réunit 8000 personnes. 

C'est dans le courant de l'année 2007 que les règles ont changé, affirme Margaret Munro, journaliste spécialisée en sciences de la chaîne Post Media.

Les choses ont changé radicalement, a-t-elle dit au colloque. Les scientifiques ont commencé à dire qu'il fallait passer par Ottawa pour les demandes d'entrevue.»

Le cas de Kristi Miller

Un cas resté célèbre: celui de Kristi Miller, spécialiste de la génétique de Pêches et Océans Canada. Elle a découvert qu'un virus touchait le saumon du Pacifique. Sa recherche a été publiée l'an dernier dans la prestigieuse revue Science. Des milliers de journalistes ont reçu un communiqué à son sujet. Mais elle n'a pas pu donner d'entrevue.

Mme Munro a fait une demande d'accès à l'information sur le suivi des demandes d'entrevue. Les 800 pages de documentation lèvent le voile sur l'intensité du contrôle de l'information instauré au gouvernement fédéral.

Les demandes d'entrevue pour Mme Miller ont dû être approuvées par le responsable des relations médias de Pêches et Océans à Vancouver, par le bureau du sous-ministre à Ottawa, par le bureau du ministre et aussi par le Conseil privé, dit Mme Munro. C'est comme si la Maison-Blanche gérait les demandes d'entrevue. Et c'est le Conseil privé qui a finalement refusé.»

Une autre recherche a fait l'objet d'un contrôle étonnant de la part du gouvernement: elle révélait certains aspects d'une inondation survenue il y a 14 000 ans. L'entrevue avec l'auteur a dû être autorisée par le cabinet ministériel. «Quand on doit vérifier l'impact pour le ministre d'une étude sur une inondation survenue il y a 14 000 ans, on se dit que le contrôle de l'information est allé beaucoup trop loin», a dit Mme Munro, en citant un éditorial paru dans le Saskatoon Star-Phoenix

Un sujet prioritaire

Selon Binh An Vu Van, journaliste au Code Chastenay et organisatrice du colloque, le sujet est devenu prioritaire pour plusieurs organisations, comme l'Association francophone pour le savoir (ACFAS) et l'Association des communicateurs scientifiques, dont elle fait partie.

Les États-Unis ont une longueur d'avance sur nous, dit-elle. Il y a eu les pressions de groupes comme l'Union of Concerned Scientists. Ils ont systématiquement recensé les cas d'interférence politique. La stratégie employée serait la même au Canada. La première étape est de faire la preuve qu'il y a un problème.»

La vidéo du colloque se trouve sur le site web de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada.