Thomas Mulcair sera-t-il le Tony Blair de la politique canadienne? En proposant de recentrer les politiques du NPD afin de les rendre plus comestibles pour une plus grande partie de l'électorat, Thomas Mulcair, le meneur de la course à la direction du NPD, emprunte une recette qui a porté ses fruits pour Tony Blair, l'ancien premier ministre du Royaume-Uni.

À peine élu chef du Parti travailliste en juillet 1994, Tony Blair s'est employé à «moderniser» les politiques de son parti, dont certaines dataient de 1918, afin d'augmenter les chances du «New Labour» de prendre le pouvoir.

Orateur doué, Tony Blair a incarné ce qu'il appelait la «Troisième voie» - un parti qui veut faire avancer la justice sociale par de nouveaux moyens, en misant notamment sur une économie plus dynamique. Ce virage lui a permis d'être élu premier ministre en 1997 et de remporter trois majorités de suite - du jamais vu pour un chef travailliste.

S'il est élu chef par les quelque 130 000 membres du parti, le 24 mars à Toronto, Thomas Mulcair propose aussi de «moderniser» le discours du NDP afin de poursuivre la longue marche des sociaux-démocrates vers le pouvoir à Ottawa.

Un NPD dirigé par Thomas Mulcair demeurerait résolument un parti de centre gauche, mais il ne serait plus hostile aux entreprises, ne s'opposerait plus de manière systématique aux grands projets de développement économique, et serait moins à la remorque des syndicats du pays.

À titre d'exemple, M. Mulcair ne s'oppose pas à l'exploitation des sables bitumineux de l'Alberta. Mais il soutient que l'industrie pétrolière doit agir de manière responsable et que le principe du pollueur-payeur doit être appliqué. Ainsi, il propose la création d'un système de plafonnement et d'échange des émissions de gaz à effet de serre qui permettrait de générer des milliards en revenus. Ces revenus seraient utilisés pour investir dans les énergies vertes et les infra-structures durables.

M. Mulcair s'oppose par contre à une proposition de l'un de ses adversaires, Brian Topp, d'imposer une nouvelle tranche d'imposition de 35% sur les revenus de plus de 250 000$. «La seule chose que les électeurs vont se rappeler est que nous voulons augmenter les impôts», a notamment dit Mulcair en songeant aux prochaines élections.

D'autres dirigeants du NPD - l'ancien chef Alexa McDonough, les anciens députés Lorne Nystrom et Nelson Riis - ont tenté à la fin des années 90 et au début des années 2000 de convaincre les militants du parti d'adopter la recette de Tony Blair. Mais chaque fois, ils se sont butés à une forte résistance des apparatchiks du parti.

Pourtant, sur la scène provinciale, l'ancien premier ministre néo-démocrate de la Saskatchewan Roy Romanow a adopté la «Troisième voie» avec un succès certain. Le gouvernement «socialiste» de Roy Romanow fut l'un des premiers à éliminer le déficit d'une province au pays en 1994-1995... avec le conservateur Ralph Klein de l'Alberta. Et son gouvernement néo-démocrate, au pouvoir pendant 10 ans, a utilisé les surplus de la manière suivante: un tiers pour le remboursement de la dette, un tiers pour les réductions d'impôts et l'autre tiers pour la création d'emplois et la santé. «La Saskatchewan a un budget équilibré pour la première fois depuis 1982. Et nous l'avons fait à notre façon: en vivant selon nos moyens», avait dit M. Romanow en 1995.

Modernisation» critiquée

Depuis quelques semaines, Thomas Mulcair se fait accuser par plusieurs de ses adversaires de vouloir abandonner des principes chers au NPD.

Vous avez critiqué notre parti, nos liens avec les syndicats, vous avez attaqué notre soutien aux gens ordinaires, alors qu'il s'agit de nos principes et de nos valeurs», a affirmé Niki Ashton, l'une des six autres candidats, durant le débat à Montréal dimanche dernier.

Tous les partis sociaux-démocrates qui ont suivi la voie de Tony Blair ont été battus dans les dernières années. Alors pourquoi [Thomas Mulcair cherche-t-il] à adopter un programme de ce type?» a renchéri Brian Topp, qui était pourtant un proche collaborateur de Roy Romanow.

Le principal intéressé n'a montré aucun signe de vouloir battre en retraite. «Je veux aller de l'avant. Je ne veux pas qu'on commence à reculer et qu'on tombe dans les ornières de notre vieille façon de voir les choses [...] Ensemble, avec Jack, on a proposé une modernisation et il faut continuer cette modernisation», a-t-il répliqué à ses détracteurs.

À deux semaines du vote, Thomas Mulcair continue d'ailleurs de récolter des appuis intéressants aux quatre coins du pays. Au moins 43 députés ont jeté leur dévolu sur lui, soit près de la moitié du caucus.

Parfaitement bilingue, politicien aguerri, Thomas Mulcair pourra-t-il convaincre la majorité des membres du parti d'embarquer dans l'aventure qu'il propose?

Qu'ils aiment ou pas la recette de Tony Blair, les militants néo-démocrates prendront la décision la plus importante de l'histoire de leur parti le 24 mars. Leur choix déterminera si le NPD pourra aspirer à prendre le pouvoir dès les prochaines élections ou s'il retournera à son ancienne position - le troisième parti en importance à la Chambre des communes et la conscience du Parlement.