Le gouvernement Harper entend retirer le droit de grève de plus de 10 000 employés d'Air Canada.

La ministre fédérale du Travail, Lisa Raitt, a déposé un projet de loi en ce sens à la Chambre des communes, lundi, en invoquant la nécessité de protéger la fragile reprise économique et les centaines de milliers de familles canadiennes en relâche scolaire.

Ce projet de loi spéciale sera adopté de manière expresse, puisqu'il a été assorti d'une motion de «bâillon», qui vise à limiter les débats à la Chambre des communes à quelques heures à peine. L'un des scénarios envisagés au moment de mettre sous presse était de faire siéger les députés jusque tard cette nuit pour envoyer le projet C-33 au Sénat avant demain matin.

Ce n'est pas la première fois que les troupes de Stephen Harper interviennent de la sorte dans un conflit de travail depuis l'élection de leur gouvernement majoritaire, le 2 mai dernier. Les syndicats concernés et les partis de l'opposition ont dénoncé cette approche.

La ministre «envoie un message aux compagnies que la négociation libre entre employeurs et employés n'existe plus », a dit le député du NPD Yvon Godin. Faites ce que vous voulez en négociations, puis venez nous voir, on sera là pour vous autres.»

«Ces employés-là, ça fait 10 ans qu'ils font des concessions. Ils ont des conditions de travail exécrables, des fonds de pension qui sont déficitaires... Ils ont donné et donné et donné pendant 10 ans. On avait l'occasion de négocier démocratiquement. On va nous enlever ce droit-là. C'est vraiment ahurissant», a quant à lui dénoncé Marcel Saint-Jean, président de la section locale 1751 de l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale.

«Essentiel»

Les employés touchés sont les quelque 3000 pilotes et 8600 mécaniciens, bagagistes et manutentionnaires de fret de la compagnie. Une grève et un lock-out devaient commencer lundi. Mais jeudi dernier, la ministre du Travail avait empêché in extremis ces deux arrêts de travail en adressant leur dossier au Conseil canadien des relations industrielles (CCRI). Ce renvoi a forcé la compagnie à poursuivre ses activités, et les employés à rester au travail, en attendant que le CCRI se prononce sur les questions soumises. Celles-ci touchent à la santé et à la sécurité du public dans le cas de tels arrêts de travail.

Mais la ministre Raitt n'a pas attendu que cette décision soit rendue et elle est allée de l'avant lundi avec le dépôt d'un projet de loi qui empêche toute grève ou tout lock-out d'ici à ce que de nouvelles conventions collectives soient signées. Ce projet de loi prévoit aussi la mise en place d'un processus d'arbitrage.

«Même si la semaine de relâche est terminée au Québec, présentement, il y a plus d'un million de Canadiens qui sont en semaine de relâche. Et puisque la reprise économique est fragile, il est essentiel que l'économie canadienne ne connaisse pas de problème qui nuirait à sa reprise», a justifié le ministre des Transports, Denis Lebel, lors d'un point de presse.

«C'est la semaine de relâche en Ontario et en Nouvelle-Écosse, a ajouté le ministre Lebel. Il y a des gens du Canada qui sont partout au monde et qui resteraient cloués au sol. Pour nous, c'est inadmissible.»

Air Canada a préféré réserver ses commentaires pour plus tard. «Nous sommes en train d'en analyser les détails et les impacts», a indiqué une porte-parole.

Nouvelle approche

Le professeur Gilles LeVasseur, de l'École de gestion Telfer de l'Université d'Ottawa, a quant à lui vu d'un bon oeil l'intervention du gouvernement fédéral dans ce dossier. Selon lui, les cas semblables qui sont survenus au cours des derniers mois démontrent une approche nouvelle du gouvernement Harper dans ce domaine.

«La différence, c'est que l'État n'attend pas qu'il y ait un conflit pour intervenir. L'État dit que plutôt que prévenir une turbulence dans l'économie canadienne, on préfère agir et être prévoyant pour créer une situation qui va être continue et possible à réglementer.»

«Dans le passé, on aurait accepté pendant un certain temps une certaine forme de grève, a-t-il renchéri. Là, l'État dit: on veut prendre les devants et éviter ce genre de situation-là. C'est ça qui est la nouveauté.»

Selon M. LeVasseur, l'importance d'Air Canada est telle en matière de transport au Canada, notamment pour les régions et pour les simples voyageurs qui planifient leurs déplacements longtemps à l'avance, que l'intervention d'Ottawa est raisonnable et justifiée.