Nouvelle controverse linguistique au tribunal de l'immigration: la présence de deux commissaires unilingues anglophones au bureau de Montréal crée un malaise chez plusieurs avocats et députés. Surtout depuis que l'un d'eux a accepté en preuve un document en français qu'il était incapable de comprendre.

«Je pense que c'était une première. C'était un dossier étrange, de A à Z», résume Me Stéphanie Valois, au sujet de sa mésaventure devant le commissaire montréalais Stephen Gallagher, qui ne maîtrise pas la langue de Molière.

Me Valois représentait les membres d'une famille latino-américaine devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR). Ceux-ci avaient choisi une audience en anglais. Mais le document crucial de leur preuve, un rapport de police mexicain, avait été traduit de l'espagnol au français à leur arrivée au Québec.

Le commissaire, plutôt que d'attendre une traduction anglaise, a déclaré qu'il allait se «démener» tant bien que mal pour comprendre le texte.

«I can struggle through this material», a-t-il dit, selon les transcriptions de l'audience à huis clos obtenues par La Presse. Me Valois était stupéfaite. «Il est important que vous compreniez toute la documentation. Je suis inquiète», a-t-elle lancé.

Le commissaire a finalement rejeté la demande de la famille. Mais la Cour fédérale a cassé son jugement, en indiquant que sa compréhension de la preuve pouvait sérieusement être remise en question.

Tensions

Selon nos informations, cet épisode a exacerbé des tensions qui couvaient depuis la nomination par le gouvernement Harper de deux commissaires incapables de travailler en français au bureau montréalais de la CISR. Un autre anglophone unilingue a été nommé à Ottawa. Aucun ne suit de cours de français, selon la CISR, qui refuse de divulguer leurs noms, outre celui de M. Gallagher.

«La CISR accepte et respecte la décision de la Cour fédérale», assure l'organisme.

Celui-ci précise que les commissaires en question utilisent des services de traduction pour la documentation qu'ils ne comprennent pas et pour les séances de formation qui se déroulent en français.

«Ça n'a pas d'allure! À Montréal, ça se passe en français! Est-ce que le seul critère pour être nommé commissaire, c'est d'être conservateur? À notre époque, il y avait des nominations qui étaient des libéraux, mais ce n'était jamais un problème d'en trouver des bilingues», lance Denis Coderre, ex-ministre de l'Immigration.

«Après un juge de la Cour suprême unilingue et un vérificateur général unilingue, on voit que pour M. Harper, le Canada, c'est unilingue anglais», renchérit la bloquiste Maria Mourani.

«Le bilinguisme devrait être essentiel pour ce poste au Québec. Mais peut-être qu'ils ont du mal à trouver des gens bilingues qui partagent l'idéologie des conservateurs», suggère le néo-démocrate Robert Aubin.

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L'an dernier, le commissaire aux langues officielles a critiqué la CISR pour son refus de permettre à l'avocat Stéphane Handfield de plaider en français. Celui-ci affirme que sa lutte pour le respect du français au tribunal fédéral est loin d'être terminée.

«On ne tolérerait pas l'inverse. On n'accepterait pas qu'à Toronto, tout soit traduit vers le français parce qu'un commissaire ne parlerait pas anglais!», s'offusque-t-il.

L'attachée de presse du ministre Jason Kenney, Ana Curic, a défendu les nominations conservatrices.

«Les juges de la CISR doivent passer à travers un processus rigoureux, indépendant et fondé sur le mérite, celui-ci est administré par des fonctionnaires professionnels et vigoureusement formés. Ainsi, les juges de la CISR sont hautement qualifiés», dit-elle.