Lise Thibault a déjà soutenu qu'elle parlait aux morts. Elle les fera parler demain. Elle soutiendra qu'une lettre de l'ex-premier ministre Pierre Trudeau justifiait ses dépenses, qui sont présentement sous la loupe de l'escouade des crimes économiques de la SQ.

Mme Thibault a fait valoir cet argument aux représentants de la Sûreté du Québec qui l'ont rencontrée à son domicile dans les Laurentides. Elle avait d'ailleurs le même plaidoyer auprès du vérificateur général, Renaud Lachance, qui a balayé d'un revers de main cet argument. Dans une lettre écrite quand il était premier ministre, au début des années 70, M. Trudeau avait soutenu que les fonds destinés aux lieutenants gouverneurs étaient des «allocations» automatiques et non des dépenses remboursables, sur pièces justificatives.

 

Mme Thibault doit comparaître aujourd'hui devant la Commission parlementaire de l'administration publique. Hier, le vérificateur général Lachance y a soutenu que cette lettre ne pesait pas lourd dans son évaluation - il a refusé d'en identifier le signataire d'ailleurs. Pour lui, l'ancien lieutenant-gouverneur Lise Thibault ne pourra pas plaider que le remboursement régulier de ses factures, par Ottawa et Québec, démontrait qu'elle était dans son droit. «Comme première responsable de son administration», Mme Thibault avait la responsabilité de distinguer, dans les liasses de factures qu'elle voulait se faire rembourser, ce qui relevait de ses fonctions officielles et ce qui était de nature privée, estime le vérificateur général.

M. Lachance est venu hier, devant la Commission, expliquer le rapport lapidaire qu'il avait produit, en juin 2007, sur les dépenses de Mme Thibault de 1997 à 2007, alors qu'elle s'est fait rembourser 700 000$ pour des dépenses qui ne sont pas liées à sa fonction. Le laxisme de l'administration, au Conseil exécutif, qui relève du premier ministre du Québec, et à Patrimoine Canada, est aussi à blâmer. «Les deux gouvernements ne se parlaient pas», observe M. Lachance. Pendant des années, Ottawa a remboursé des frais de subsistance à Mme Thibault, en ignorant que Québec lui allouait une allocation mensuelle de 4000$ pour les mêmes frais, a-t-il expliqué.

Mme Thibault «comprenait parfaitement le fonctionnement des règles», observe la députée péquiste de Taschereau, Agnès Maltais.

Président de la commission, l'adéquiste Gilles Taillon a soutenu qu'on était clairement devant un cas de laxisme. « Il n'y avait pas de contrôle. « Pour Vincent Auclair, député libéral, on est en présence d'abus répétés. «Il y a eu un sentiment d'impunité.»

Une séance de «formation» des aides de camp était en fait un tournoi de golf remboursé par les contribuables, qui ont tout payé, visières, départs, BBQ. On y a bu du Saint-Véran et du Brouilly. Une facture totalisant 10 000$.

Comme Ottawa remboursait les frais à l'extérieur de Québec, Mme Thibault vivait au Mont-Sainte-Anne, juste en dehors de la municipalité, dans un appartement que lui louait son responsable de la sécurité, Guy Hamelin. Mme Thibault avait décidé que sa sécurité exigeait un garde du corps 24 heures sur 24. Ses dépenses ont d'ailleurs augmenté de 200% tandis que celles des autres lieutenants-gouverneurs au pays grimpaient de seulement 9%.

Mme Thibault avait vite compris la différence entre les dépenses à Québec, traitées par le provincial, et celle hors de la capitale, que récupérait Ottawa. En 2001, le party de Noël des aides de camp avait eu lieu en périphérie de Québec. Elle avait transmis la facture comme d'habitude (13 000$) mais Ottawa refusa de payer, parce que cet hôtel s'était retrouvé dans Québec à la suite des fusions municipales. L'année suivante, Ottawa paya 30 000$ pour la même réception tenue cette fois à Montréal. Elle a envoyé la facture pour une réception de 4000$ pour la fête d'un de ses enfants.

Quand Mme Thibault jouait au golf, M. Hamelin s'ajoutait à sa garde rapprochée, même si un autre garde du corps était déjà en fonction. Il l'a aussi accompagnée en Floride, pendant une semaine, une excursion où les contribuables ont tout payé, y compris le transport par avion du cart de golf de Mme Thibault - handicapée Mme Thibault a besoin d'un véhicule adapté. Les fonds publics ont aussi payé les balles de golf, tout comme des cours de ski privés, qu'elle s'est fait rembourser. Elle a reçu 16 200$ pour un voyage d'une semaine en Gaspésie et aux Îles-de-la-Madeleine, en juillet, sans que le vérificateur ait trouvé d'invitation officielle.

Certains aspects des excès de Mme Thibault étaient restés nébuleux jusqu'ici. Hier, M. Lachance a relevé que la Fondation fondée par Mme Thibault avait organisé un événement qui avait récolté 100 000$ de fonds, mais au prix d'une facture de 64 000$ remboursée par les contribuables.