Le verdict de la Cour supérieure permettant la syndicalisation de 25 000 femmes travaillant en milieu familial coûtera plus de 1 milliard par année à Québec. Les lendemains d'élections pourraient ainsi prendre des airs d'un lendemain de veille pour le gouvernement Charest, lui qui n'a pas voulu porter l'odieux politique de contester le jugement de la cour en pleine campagne électorale.

À la veille du débat télévisé des chefs de parti, à la mi-novembre, le gouvernement Charest a annoncé qu'il n'interjetterait pas appel du jugement de la Cour supérieure où la juge Danièle Grenier reconnaissait la primauté du droit à la liberté d'association des éducatrices en milieu familial et des employés des ressources intermédiaires du réseau de la santé, oeuvrant auprès des personnes âgées ou mésadaptées.  

Le premier ministre Charest avait alors refusé de spéculer sur les conséquences de cette décision. La période de préparation du débat avait fait sortir cette question des enjeux de la campagne électorale.

Du côté du réseau de la santé, 10 000 salariées à faible revenu se retrouvent dans ces ressources intermédiaires, auprès des aînés ou des clientèles vulnérables.

 

Les lois 7 et 8 adoptées en décembre 2003 par le gouvernement Charest ont été déclarées inconstitutionnelles parce qu'elles contrevenaient à la Charte canadienne des droits et libertés.

 

Or dans son propre argumentaire, en Cour, le gouvernement du Québec évalue à 850 millions par année la facture de cette décision, pour la moitié de cette clientèle. Datant de 2002, la pièce «état de situation» produite par le Conseil du Trésor prévoit que la syndicalisation de ces employées pour le seul secteur de la santé force Québec à prévoir «une augmentation importante des coûts, 850 millions par année, résultant de l'application des normes minimales de travail en vigueur, sans ajout de services à la clientèle ni amélioration des services offerts aux usagers». Au surplus, cette facture apparaît quand on donne seulement les normes minimales de travail à ces employées. «Cette évaluation ne tient pas compte des conditions de travail des employées du réseau», poursuit l'argumentaire gouvernemental, la pièce 22 au dossier de la Cour.

 

Une série de factures

À ces 10 000 salariées du secteur social, il faut ajouter 14 000 éducatrices travaillant dans les services de garde en milieu familial. À la Centrale des syndicats démocratiques (CSD), où on dépose chaque jour des demandes d'accréditation syndicale pour ces employées, on estime qu'il en coûtera à terme 350 millions de plus chaque année au gouvernement.

 

En additionnant les factures pour les secteurs des services sociaux et des services de garde, on atteint 1,2 milliard.

 

Encore là, ce n'est pas fini. La Commission des normes du travail a déjà reçu dans les dernières semaines 1900 plaintes émanant surtout des éducatrices en milieu familial. Ces salariées peuvent réclamer rétroactivement le salaire qu'elles auraient dû avoir depuis un an – une facture potentielle de 90 millions qui sera refilée à l'État.

 

Et c'est sans tenir compte du verdict que pourrait rendre la Commission sur l'équité salariale, quand elle évaluera tous ces emplois massivement féminins à des tâches aux responsabilités similaires.

Finalement, si ces employées sont considérées comme des salariées, le gouvernement devra payer la note pour les coûts d'installation des garderies.

 

«Farfelu»

 

Pour Claudette Carbonneau, présidente de la CSN, le calcul du gouvernement était «tout à fait farfelu» puisqu'il pose comme prémisses que les conditions de travail des employées syndiquées des réseaux seront appliquées intégralement à ces salariées. «Ce n'est pas le même travail en installation qu'à domicile. On ne peut faire du copier-coller dans les conditions des deux groupes. Il faudra attendre leurs demandes...» insiste la syndicaliste.

 

Pour elle, il est «incompréhensible» que Québec ait décidé de ne pas interjeter appel sur les projets de loi 7 et 8 tout en maintenant sa position d'interjeter appel d'un verdict qui cassait aussi la loi 30 sur l'organisation du travail dans le réseau de la Santé. La différence entre les deux décisions, c'est la campagne électorale. «Il y a quelque chose là manifestement... Je ne peux que me réjouir de la décision de ne pas interjeter appel, mais au regard de ce qu'ils ont décidé dans l'autre dossier, sur les mêmes assises juridiques, on ne comprend pas», a commenté Mme Carbonneau.

 

Professeur de droit du travail à l'Université Laval, mandaté par Québec pour siéger à des comités sur la rémunération, Alain Barré prédit une facture astronomique au gouvernement Charest. Et pour lui, il est clair que le fait que ce verdict soit tombé en campagne électorale explique la décision de Québec de ne pas interjeter appel. «Je suis absolument certain que si on n'avait pas été en campagne électorale, ce jugement aurait été porté en appel», tranche-t-il.

 

«Ces employées en garderie gagnent moins que le salaire minimum ou à peu près. Or les taux de salaire des garderies dépassent les 20 $. En outre, si une relation employeur-employé est établie, Québec est forcé de défrayer d'énormes charges sociales.»

 

Le premier ministre Charest a annoncé 195 millions pour créer 15 000 nouvelles places en garderie, essentiellement en milieu familial, «cela sera facilement le triple», résume le professeur Barré. «Les 7 $ par jour seront rendus à 10 $ en 2010, en dépit des promesses qu'on a pu faire», prédit-il.