Après deux ans, et 30 millions de dollars plus tard, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a décidé de mettre fin avant terme à un contrat imposant pour son projet de modernisation de ses systèmes informatiques.

Devant un projet ambitieux devenu «hors contrôle», l'organisme a décidé l'automne dernier de résilier l'entente qu'elle avait conclue en juin 2006 avec la firme DMR, révèlent les délibérations du conseil d'administration de l'organisme obtenues par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

Des sources au sein de la CSST indiquent que toute cette aventure se termine par un fiasco coûteux. Lors de la signature du contrat à l'été 2006, on affirmait que tout devait être en place maintenant, en janvier 2009. Mais rien n'est changé dans la gestion de la CSST, et ce pour l'avenir prévisible. «Il n'y a rien qui marchait», résume-t-on.

DMR avait été le plus bas soumissionnaire, coiffant ses concurrents au fil d'arrivée, mais elle avait mal évalué la complexité du mandat, confie-t-on maintenant.

Ce dérapage est susceptible de faire grincer des dents des contributeurs - la CSST fonctionne uniquement à partir des contributions des employeurs.

Encore aujourd'hui, la CSST et DMR sont en litige, en «médiation». L'organisme réclame le remboursement d'une partie des 30 millions versés inutilement. La firme privée veut, elle, récupérer une partie de la quinzaine de millions qui lui ont échappé - à l'origine, l'entente portait sur 47 millions de dollars. Chez DMR, acteur important dans ce secteur au Québec, on n'a pas rappelé La Presse hier.

La CSST voulait se doter d'une base de données pour simplifier ses rapports avec les professionnels de la santé qu'elle doit payer, - comme régime d'assurance - et les prestations qu'elle doit verser aux travailleurs temporairement sur le carreau. Au gouvernement du Québec, de tels projets de logiciel intégré se sont déjà avérés des gouffres financiers. GIRES, lancé sous le gouvernement du PQ, a englouti plus de 200 millions en pure perte, et le vérificateur général du Québec garde à l'oeil SAGIR, une seconde mouture, moins ambitieuse que la précédente.

Un autre projet informatique, à la CARRA, la commission d'administration des régimes de retraite des fonctionnaires, est aussi un monstre en devenir, indique-t-on par ailleurs.

Dans le dossier de la CSST, les 30 millions déboursés - des cotisations venant des employeurs - ne sont pas une perte sèche ; la CSST détient toujours les licences de la plateforme Oracle acquises pour elle comme base du progiciel que devait développer DRM. En outre, la CSST compte aller de l'avant avec son projet de «cotisations basées sur les salaires versés», une très vieille revendication des employeurs exaspérés par la paperasserie imposée par le prélèvement des cotisations de la CSST. Le ministère du Revenu jouera le rôle d'intermédiaire. Mais ces changements prévus à l'origine pour 2009 doivent être repoussés à 2011 en raison du temps perdu avec le projet de modernisation.

Le contrat avait été conclu en juin 2006 alors que la CSST était dirigée par Gérard Bibeau, devenu par la suite responsable des emplois supérieurs au Conseil exécutif, puis secrétaire général du gouvernement - l'équivalent du sous-ministre de Jean Charest - et par conséquent le patron de l'ensemble des fonctionnaires québécois.

Après un an de flottement et d'intérims successifs à la barre de la CSST, le nouveau président, Luc Meunier, était arrivé en poste fin 2007. Dans les mois qui suivirent, le mandat de DMR fut de plus en plus remis en question. La fin fut abrupte en septembre 2008 ; dans une lettre sèche à Yvon Paquet, vice-président opération de DMR, M. Meunier annonçait que la CSST «résiliait» le contrat qui avait été suspendu au début de l'été. Les dizaines de consultants de DMR à pied d'oeuvre sur le projet de modernisation étaient invités à «récupérer le plus rapidement possible le matériel qui leur appartient, qui a été utilisé dans l'exécution de ce contrat et qui se trouve encore dans les locaux de la Commission». Au plus fort des travaux, on estime que 300 «consultants» de DMR ou de ses sous-traitants se trouvaient dans les locaux de la CSST.

Un mois plus tôt, le vice-président responsable de la «modernisation» à la CSST, Richard Verreault avait été nommé par le conseil exécutif comme nouveau président de la Société immobilière du Québec. Quelques semaines plus tard, deux de ses anciens collaborateurs à la CSST, Normand Laroche et Alain Chouinard allaient le rejoindre à la SIQ.

Le comité «technologies de l'information» du conseil d'administration, dont La Presse a obtenu les procès-verbaux, était au centre du projet depuis le début, sous la responsabilité de M. Verreault. Parmi ses membres, on retrouvait Franco Fava, de Neilson Excavation, qui a quitté depuis le conseil d'administration de la CSST après avoir y siégé pendant deux décennies, Mme Andrée Bouchard, de la CSN, sans connaissances spéciales en informatique, et François Pelletier, de Quebec Cartier Mining.

La pression monte

En février 2008, on constate que le coût du projet est en croissance rapide - il a grimpé de 6 millions, dont 2 millions en deux mois.

À compter du printemps 2008, la pression monte sur les responsables du projet de modernisation. Le comité suggère de négocier une nouvelle entente avec DMR, et de lui «signifier nos inquiétudes actuelles au regard de la réalisation du projet». On préconise que la CSST établisse une «relation directe» avec la multinationale Oracle, et embauche directement des spécialistes familiers avec cette architecture informatique.

En juin, un expert externe constate que les demandes de changements de DMR représenteraient des factures supplémentaires de 12,9 millions pour la CSST. En septembre, les délibérations du conseil de la CSST sont lapidaires. On estime que DMR n'a pas répondu à trois attentes bien claires: augmenter son expertise dans les systèmes Oracle, améliorer sa gestion du projet et démontrer davantage de leadership.

- Avec la collaboration de William Leclerc