Il y a presque quatre décennies que les syndicats n'avaient pas fait front commun pour négocier avec Québec. L'union est de retour depuis hier, avec près d'un demi-million de membres issus de sept centrales syndicales, du jamais vu. Leur objectif : obtenir des salaires comparables à ceux du secteur privé, avec des hausses de 11,25% sur trois ans. Et surtout, mener des négociations « rapides et ciblées «, avant que le gouvernement Charest n'impose un décret comme en 2005.

Le gouvernement Charest aura un adversaire de taille au cours des prochaines négociations: le plus gros front commun de l'histoire syndicale du Québec, regroupant près d'un demi-million de fonctionnaires et d'employés du secteur parapublic.  Le dernier front commun syndical date de 1972; il avait réussi à faire plier le gouvernement de Robert Bourassa. «Même en 1972, il n'y avait pas autant de salariés au sein du front commun, souligne Réjean Parent, président de la Centrale des syndicats du Québec. C'est une étape historique.»

Pour unir leurs forces, les trois centrales syndicales majeures, la FTQ, la CSN et la CSQ, ont accepté de mettre en veilleuse leurs campagnes de maraudage dans les secteurs public et parapublic, un processus qui devait être déclenché en juillet prochain. Les dirigeants syndicaux ont officiellement entériné l'entente hier matin lors d'une conférence de presse dans un hôtel du centre-ville de Montréal.

«Le non-maraudage, c'est pour concentrer nos énergies sur la négociation et mettre de côté nos luttes fratricides, pour arrêter de se regarder en chiens de faïence», a déclaré M. Parent.

«Quand on arrive à une table de négociation déchirés entre nous, le gagnant est celui qui est de l'autre bord de la table, a ajouté le président de la Fédération des travailleurs du Québec, Michel Arsenault. Il faut essayer un nouveau modèle.»

Les dirigeants syndicaux ne s'en cachent pas, le contexte était idéal pour favoriser une alliance. Les conventions collectives actuelles imposées par décret aux employés de l'État en 2005 ont suscité une grogne qui n'est toujours pas éteinte. Récession oblige, on s'attend à ce que le gouvernement Charest demande des concessions aux syndiqués. Ces deux éléments, notamment, ont poussé le mouvement syndical à se serrer les coudes, explique M. Parent.

Les discussions ont été entamées il y a 11 mois, à l'occasion d'une première rencontre entre M. Arsenault et Claudette Carbonneau, présidente de la Confédération des syndicats nationaux, pendant la Fête nationale. Les deux ont par la suite rallié la vaste coalition formée de la CSQ et de quatre autres syndicats, baptisée Secrétariat intersyndical des services publics (SISP).

Au bout du compte, le front commun regroupe l'écrasante majorité des employés de l'État, soit 475 000 sur 540 000. Les ingénieurs du gouvernement et les policiers font bande à part.

<>Négociation rapide et ciblée

La principale stratégie, ont expliqué en choeur les trois principaux dirigeants syndicaux, consistera à offrir au gouvernement Charest un échéancier de négociation «précis et raccourci» avant d'éviter qu'il ne tranche encore le débat par un décret unilatéral, précise Mme Carbonneau. «Fini le vieux mauvais film d'une négociation qui s'étire, qui n'en finit plus, marquée d'effets de toge et de coups de théâtre», illustre-t-elle.

La recette pour un front commun réussi, estime M. Parent, c'est d'avoir des demandes communes dans le cadre d'une négociation rapide et ciblée. «Ce sont plus que des voeux pieux, il faut avoir une vision commune. Si on prend le bateau ensemble, il faut aller dans la même direction.»

Les négociations formelles avec Québec devraient commencer l'automne prochain. Hier matin, les négociateurs syndicaux prévoyaient rencontrer le Conseil du Trésor pour lancer dès ce printemps une démarche de «pré-négociation», dans le but d'en arriver à un règlement d'ici avril 2010. C'est à ce moment que la convention collective actuelle, imposée par décret, viendra à échéance.

Les dirigeants du front commun ont déjà convenu d'une base de demandes d'augmentations salariales, soit 11,25% sur trois ans. D'ici l'automne, des tables sectorielles seront tenues pour préciser les demandes des syndiqués regroupés dans une vingtaine d'organisations syndicales.

Globalement, les syndicats tenteront de combler le retard entre les employés de l'État et le secteur privé, estimé à 5,2% selon les dernières données de l'Institut de la statistique du Québec. D'entrée de jeu, le front commun a tiré à boulets rouges sur le «mythe» des conditions de travail enviables de fonctionnaires, rappelant que 36% d'entre eux sont sur appel, occasionnels ou temporaires.

«Ce ne sont pas des robots qui donnent les services publics, ce sont des humains et pour les attirer et les garder, il faut de bonnes conditions de travail», dit Mme Carbonneau.