Personne ne l'a remarqué: le parti a changé de nom. Depuis mars, l'Action démocratique du Québec n'est plus désignée officiellement comme «Équipe Mario Dumont». La cassure est lourde de conséquences.

Après le scrutin de décembre 2008, reste-t-il une place pour la fameuse «troisième voie» que proposait le député de Rivière-du-Loup?«Il reste de l'espace pour un parti de centre droit au Québec, a dit cette semaine Mario Dumont. Personne ne peut prédire ce qui va arriver dans trois ou quatre ans... Les analystes ont vu quelquefois l'ADQ disparaître, et ils l'ont vu quelquefois au pouvoir. C'est risqué de prédire quatre ans d'avance.»

Michel Kelly-Gagnon, président de l'Institut économique de Montréal, a songé brièvement à se lancer en politique. Selon lui, depuis la crise économique, l'avenir est bien sombre pour les porte-étendards de la droite. «L'ADQ a une chance sur deux de survivre; je ne suis pas sûr que ses membres vont passer au travers. Mais le processus politique aura perdu quelque chose si elle disparaît. Cela va redevenir comme avant», prédit-il.

Christian Dufour, chercheur à l'ENAP, a été bien proche du courant adéquiste pendant un moment. L'avenir du parti n'est pas rose, selon lui: «L'ADQ représentait le changement, et le personnage de Dumont, inscrit dans l'histoire du Québec, lui donnait de l'ampleur. Maintenant, on garde l'image de quelque chose d'un peu rural, presque créditiste. Est-ce qu'il y a un marché politique pour cela?»

À son avis, l'ADQ risque d'avoir été «quelque chose de transitoire mais fécond, qui a changé les deux autres partis». Même chez les adéquistes de la première heure, on s'interroge. «Y a-t-il de la place pour plus de deux partis politiques au Québec? Je n'en suis plus certain», observe Jean-Simon Venne, un des fondateurs du parti.

Longtemps éminence grise de Mario Dumont, l'ancien banquier Léon Courville est pourtant convaincu que l'ADQ survivra. «Il y a une génération de moins de 35 ans découragés de l'immobilisme, des non-dits, des tabous de nos politiques sociales qui nous mènent vers l'implosion des finances publiques.»

Succession incertaine

«Quand un chef fondateur quitte un parti, il y a toujours un questionnement, constate Sylvie Roy, chef par intérim. On pense que c'est la mort du parti. Mais le PQ a survécu au départ de M. Lévesque, le Bloc à celui de M. Bouchard. À l'ADQ, il y a une vie après Mario Dumont.»

Jusqu'à cette semaine, il n'y avait que trois candidats à sa succession.

Le premier à se jeter à l'eau, Éric Caire, député de La Peltrie, incarne le courant qui domine l'ADQ depuis des années - la filière Québec. La rivalité entre les adéquistes de la région de la Capitale-Nationale et ceux du reste de la province est une donnée fondamentale pour comprendre l'ancien parti de Mario Dumont.

À Québec, l'ADQ récolte encore 20% des intentions de vote, selon le dernier sondage CROP - deux fois plus que partout ailleurs dans la province. Des militants de Québec se demandent encore pourquoi la permanence du parti est à Montréal. On casse toujours du sucre sur le dos de la direction «montréalaise» du parti, Simon-Pierre Diamond et Mario Carpentier.

Mais le manque de détermination de l'organisation de M. Caire a donné prise à un autre courant: Myriam Taschereau, candidate conservatrice battue à l'automne 2008, évalue actuellement ses appuis.

Pendant des semaines, un autre candidat, François Bonnardel, député de Shefford, a songé à faire le saut. Son exploit: survivre en tant qu'adéquiste dans cette région peinte en rouge. En revanche, il a fallu expliquer au prétendant Bonnardel que sa relation avec la vice-première ministre Nathalie Normandeau pourrait poser problème à un futur chef adéquiste.

Bonnardel a été le premier à inciter Gilles Taillon, ancien président du Conseil du patronat, à se lancer dans la course.

La décision était loin d'être évidente - Mario Dumont en a été le premier surpris, assure-t-on. Taillon est le seul adéquiste qui, hormis Dumont, jouit d'une certaine notoriété au Québec. Il avait opté pour une sortie élégante en se portant candidat adéquiste dans Chapleau en décembre 2008, un ticket assuré pour la retraite.

Des ennuis de santé, les récriminations de sa femme au sujet de la vie publique, tout l'incitait à accrocher ses patins et à se rapprocher de la jeune famille de sa fille, en Outaouais.

Contrairement à Caire, Taillon a déclenché un mouvement d'appuis lorsqu'il a annoncé sa décision. Quelques ex-élus - Pierre Gingras (ancien président du caucus), Linda Lapointe, Lucille Méthé et Lucie Leblanc - ont vite sauté dans le train de Gilles Taillon, tout comme Claudette Carrier, ex-directrice du parti.

M. Taillon a mis du temps à obtenir un appui à Québec. «C'est certain qu'une course fait des camps», indique Sylvie Roy. «La gang de Québec ne veut rien savoir de Taillon... mais sa victoire paraît acquise», confie-t-on.

Au-delà de cette première fournée, l'appui des anciens députés à Gilles Taillon ne sera pas spontané. Affable en public, le critique financier de l'ADQ a acquis la réputation d'être très cassant avec les collègues qui ne sont pas de son avis. Il a déjà enguirlandé des collègues qui n'avaient pas été assez solidaires quand il avait éprouvé des problèmes avec son association dans Chauveau.

Il a causé une onde de choc sentie jusqu'à Ottawa quand, d'entrée de jeu, il a annoncé qu'il prendrait ses distances du Parti conservateur. Plusieurs employés de l'ADQ, congédiés après la dégelée de décembre, ont été récupérés dans les cabinets conservateurs, chez Josée Verner notamment. Myriam Taschereau a dû démissionner de son poste au bureau de Stephen Harper pour envisager la course adéquiste.

Christian Lévesque, député défait dans Lévis, va aussi se lancer dans la course, mais il tergiverse encore. Des trois candidats, il est celui qui a le plus sollicité d'appuis, rencontré d'anciens collègues, enrôlé de nouveaux membres. Le premier geste du néophyte a laissé songeur: il a recruté le vétéran péquiste Raymond Bréard à titre de conseiller, un apparatchik expérimenté mais associé au dérapage du lobbyisme sous Bernard Landry.

Le candidat «naturel» pour succéder à Mario Dumont ne sera pas sur les rangs. Depuis des années, l'avocat Marc-André Gravel est un conseiller écouté, bien connu des militants, dont il préside les congrès. Mais à chaque élection, il a laissé tomber l'organisateur Jean-Simon Venne, qui tentait de le convaincre de se porter candidat. À la barre d'un cabinet devenu important, il ne laissera pas la proie pour l'ombre.

Un autre cas pourrait brouiller les cartes: Gérard Deltell, ex-journaliste, élu dans Chauveau, est un politicien naturel. Son éloquence, son sens de la répartie, son souci de l'image ont fait en sorte que, en quelques semaines, il est sorti du rang. Janvier Grondin, son collègue de Beauce, fait sa promotion, mais le nouveau député répète publiquement qu'il va passer son tour.

Un parti en décrépitude

Depuis la déconfiture prévisible du 8 décembre, le parti est en décrépitude. Déjà en 2008, le million de dollars amassé représentait la moitié des recettes de 2007. Les contributions étaient versées normalement jusqu'au fatidique congrès de Laval, au printemps 2008 - quelques reportages assassins avaient mis en relief que des militants étaient mal à l'aise devant la décision du parti de donner 50 000$ de plus par année au chef Mario Dumont.

Ajoutez des contradictions sur le processus menant à cette décision, la table était mise: l'ADQ paraissait sans gouvernail. Personne n'a parlé du programme du parti durant ce week-end noir.

L'ADQ subira son véritable test l'automne prochain: les membres auront alors à décider s'ils renouvellent leur adhésion au parti. L'ADQ a déjà eu plus de 80 000 membres, en 2003. Il en restera peut-être 15 000 après 2009. Il paraît acquis que le congrès à la direction aura lieu l'automne prochain. L'année en cours sera déterminante pour l'ADQ, «une question de vie ou de mort» pour le parti, convient Gilles Taillon.

Chez les adéquistes, certains croient que si Gilles Taillon devenait chef, il se désisterait rapidement pour que Mario Dumont revienne.

De la «pure folie», lance Dumont, nouveau résidant de Saint-Bruno. En fait, depuis son départ en mars, «j'aurais adoré me retrouver à l'Assemblée nationale à une seule occasion. J'aurais aimé sentir l'excitation des députés en Chambre le jour où la relation Normandeau-Bonnardel a été rendue publique», confie-t-il, cabotin.

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Précision: 

En raison d'une erreur technique, une version préliminaire de l'article de Denis Lessard a été publiée plus tôt ce matin sur Cyberpresse. En voici la version finale. Nos excuses.