L'hiver dernier, bien des Québécois ont été offusqués d'apprendre que l'ex-PDG de la Caisse de dépôt, Henri-Paul Rousseau, était parti avec une prime de départ de près de 400 000$ même s'il avait volontairement quitté ses fonctions.

À Québec, malgré la grogne populaire, il s'est trouvé bien peu de députés pour exiger de M. Rousseau le remboursement de ce parachute capitonné. Et pour cause. C'est qu'en matière de primes de départ, les députés québécois sont eux aussi gâtés et l'exemple vient de haut.

Lorsqu'elle a démissionné en mars, l'ex-ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget est partie avec sa pleine pension de retraite (elle a 68 ans) en plus d'une allocation de transition de près de 150 000$.

La chose est peu connue du grand public, mais la loi sur les conditions de travail des membres de l'Assemblée nationale prévoit qu'un député défait à une élection, qui ne se représente pas ou qui démissionne a droit à une allocation de transition. L'«allocation de transition» est versée automatiquement même si le député touche aussi sa pension de retraite. Un tel cumul est interdit à Ottawa, où un ex-député ne peut toucher pension et allocation de départ simultanément.

C'est ce que l'on appelle le «cornet à deux boules» dans le milieu politique et on n'a pas besoin de gratter très longtemps pour comprendre que le sujet est tabou.

Mme Jerôme-Forget n'est pas la seule à avoir reçu double ration récemment. Depuis les dernières élections, en décembre, 11 autres anciens députés partis à la retraite ont aussi touché une allocation de transition tout en étant pleinement pensionnés, dont Louise Harel, Rita Dionne-Marsolais et Michel Bissonnet. La pension est versée pleinement (sans pénalité) aux anciens députés de plus de 60 ans.

À Ottawa, c'est l'indemnité de départ ou la pension, pas les deux. Un député qui a accumulé au moins six ans de service touche sa pension à partir de 55 ans et ne peut, passé cet âge, toucher d'indemnité de départ en plus de sa pension. Au Québec, l'allocation de transition est automatique et un ex-député peut toucher sa pension dès qu'il se retire, peu importe son âge, moyennant une pénalité actuarielle.

Quand on aborde la question des allocations avec les députés, on obtient toujours la même justification: sans ces avantages pécuniaires (imposables, insistent-ils), il serait encore plus difficile de recruter des candidats. Surtout à Québec, où le salaire est près de deux fois moins élevé qu'à Ottawa. Quant à Monique Jérôme-Forget, elle est à l'étranger pour une longue période et il a été impossible de lui parler.

Malgré les justifications du milieu politique, le régime d'allocations de transition à Québec soulève plusieurs questions éthiques.

D'abord par son opacité. Il est en effet impossible de savoir si un ex-député a bel et bien touché son allocation (et le montant exact) puisque ces informations sont confidentielles, et ce, même s'il s'agit de deniers publics.

Il faut donc y aller par déduction, selon la formule de calcul de l'allocation, soit deux mois de salaire par année de service, jusqu'à concurrence de six ans, donc allocation maximum de 12 mois.

Ce que l'on sait, parce que cette information est publiée dans le rapport annuel de l'Assemblée nationale, c'est le montant total des allocations de transition. L'an dernier, elles ont atteint 3 millions de dollars. Depuis cinq ans: 7,2 millions de dollars.

Outre le cumul allocation de transition-pension de retraite, aucune règle n'oblige un ex-député à rendre sa prime de départ s'il obtient un nouveau poste dans le secteur public, dans une société d'État, dans une université ou dans le réseau de la santé, par exemple. Ce cumul est pourtant strictement interdit aux anciens attachés politiques qui se replacent dans le secteur public.

Après les élections de 2007, l'ancien député libéral de Roberval, Karl Blackburn, avait dû renoncer à son allocation de transition de 60 000 $ parce que le gouvernement Charest minoritaire l'avait replacé dans un cabinet. Cette décision était purement politique puisque rien ne l'obligeait à abandonner son parachute.

Les anciens députés qui passent de l'Assemblée nationale à la scène municipale n'ont pas de restriction non plus, comme Michel Bissonnet, qui peut cumuler allocation de transition, pension et salaire de maire de Saint-Léonard.

Tout ce que la loi dit, c'est qu'un ancien député cesse de recevoir son allocation de transition s'il est réélu à l'Assemblée nationale. Il y a toutefois une astuce: l'allocation peut être versée d'un coup ou étalée sur 36 mois, à la demande de l'ex-député, mais celui-ci peut, à tout moment, demander que le solde lui soit versé. Théoriquement, un ancien député qui veut revenir en politique peut donc toucher le solde de sa prime une semaine avant d'être réélu. Encore une fois, ces informations sont secrètes.

Dans les milieux politiques, on justifie ce genre de traitement par le fait que les députés n'ont pas la sécurité d'emploi (ce qui est faux pour les députés élus dans des châteaux forts) et qu'ils n'ont pas droit à l'assurance emploi. Mais un salarié qui part volontairement se voit privé de prestations d'assurance emploi alors qu'un député touchera tout de même son allocation, même s'il démissionne quelques mois après sa réélection.

Il est vrai que les députés à Québec gagnent beaucoup moins que leurs collègues d'Ottawa, mais leur salaire de base (85 000$) est tout de même deux fois plus élevé que celui de la moyenne de leurs électeurs. Ils bénéficient aussi d'un régime de retraite et d'assurances beaucoup plus généreux que celui de la grande majorité des travailleurs québécois.

Les députés québécois reçoivent un salaire de base de 85 000$ (plus allocation pour dépenses: 15 000$ et allocation de logement: 14 100$). Le premier ministre touche 175 000$, les ministres: 150 000$, le chef de l'opposition: 150 000$.

 

En chiffres

Exemples d'allocations de transition versées dans les derniers mois*

Pauline Marois (démission en 2006 réélue novembre 2007): environ 150 000$

Monique Jérôme-Forget (démission mars 2009): 146 000$

Jean-Marc Fournier (démission avant les élections de 2008): 145 000$

Benoît Pelletier (démission avant les élections de 2008): 145 000$

Michel Bissonnet (démission en 2008): 141 000$

Louise Harel (démission avant les élections de 2008): 135 000$

Mario Dumont (démission après les élections en mars 2009): 129 000$

Nicole Léger (démission en 2006, réélue en 2008): 126 000$

Philippe Couillard (démission juin 2008): 125 000$

Rosaire Bertrand (démission août 2007): 117 000$

Rita Dionne-Marsolais (démission avant les élections de 2008): 116 000$

Diane Lemieux (démission octobre 2007): 106 000$

Claude Pinard (battu élections 2007, réélu aux élections de 2008): 100 000$

Russell Copeman (démission avant les élections de 2008): 100 000$

Pierre Corbeil (battu aux élections 2007, réélu aux élections 2008): 92 000$

André Boisclair 35 000$ en 2007 (après sa démission en novembre 2007) et plus de 100 000$ à la suite de sa première démission en 2004

Les adéquistes battus en décembre après 20 mois: entre 27 000$ et 36 000$

*Un député qui, après le 1er janvier 1983, démissionne comme membre de l'Assemblée, est défait lors d'une élection ou termine un mandat à ce titre sans être candidat aux élections qui suivent la fin de ce mandat a droit à une allocation de transition (source: Loi sur les conditions de travail et le régime de retraite des membres de l'Assemblée nationale)