L'industrie du camionnage et les propriétaires d'autocars et d'autobus scolaires sont en furie contre la ministre des Transports du Québec, Julie Boulet, en raison de la décision gouvernementale d'inscrire les infractions enregistrées par des radars photo à leur dossier d'entreprise.

Dans une lettre datée du 24 juillet, qu'a obtenue La Presse, la Société d'assurance automobile du Québec (SAAQ) a prévenu les entreprises de camionnage et d'autobus que «des points seront inscrits au dossier des exploitants de véhicules lourds pendant le projet pilote, lorsque des infractions pour excès de vitesse ou pour le non-respect d'un feu rouge seront enregistrées au moyen de cinémomètres photographiques».

La décision fait bondir le PDG de l'Association du camionnage du Québec (ACQ), Marc Cadieux, qui, en entrevue à La Presse, a accusé la ministre de faire « une volte-face complète » par rapport au consensus fragile auquel l'industrie du transport lourd avait adhéré à reculons, l'an dernier, pour ouvrir la voie au projet pilote de radars photo, actuellement en cours sur les routes du Québec.

«C'est aberrant, ce système, a ajouté Gaétan Légaré, directeur général de l'Association nationale des camionneurs artisans (ANCAI). Depuis des années, nous demandons à la SAAQ d'avoir accès à un registre qui permettrait de vérifier le dossier d'un chauffeur avant qu'on l'embauche. Non seulement on nous le refuse, mais avec la décision d'inscrire les infractions aux dossiers d'entreprise, on est en train de nous faire payer à leur place. Le chauffeur, lui, n'aura pas de point d'inaptitude à son dossier alors que le transporteur, lui, pourrait être obligé d'en répondre jusque devant la Commission des transports du Québec.»

Au Québec, les entreprises de camionnage, les opérateurs de machinerie lourde, les compagnies d'autocars ou les propriétaires d'autobus scolaires, entre autres, ont tous un dossier relié à leur permis d'exploitation de véhicules lourds, où sont consignées des infractions commises par leur personnel. Ces dossiers permettent à la Commission des transports (CTQ) d'exercer une surveillance accrue sur les entreprises délinquantes qui accumulent un grand nombre de contraventions, ou qui sont souvent impliquées dans des accidents.

Ainsi, un mauvais dossier peut inciter la CTQ à avertir, à sanctionner, à baisser la cote d'une entreprise ou même à suspendre son permis d'exploitation. Les décisions de la CTQ étant publiques, elles peuvent amener des clients qui se cherchent un transporteur ou une entreprise d'autocars nolisés à opter pour un concurrent au dossier plus enviable.

Joint par La Presse, le directeur de l'Association du transport écolier du Québec, Luc Lafrance, a aussi confirmé que les propriétaires de parcs de véhicules n'avaient pas été informés de la décision d'inscrire les infractions enregistrées par les radars photo au dossier des entreprises.

«Je suis moins surpris que déçu, a-t-il commenté. Je pense que l'information a dû se perdre pendant la mise en place du projet de radars photo, mais c'est clair qu'on ne s'y attendait pas, et que ça pourrait avoir des conséquences pour des entreprises.»

Une position constante

À Québec, au cabinet de la ministre Boulet, on s'étonnait hier de ces mouvements d'humeur de l'industrie du transport lourd, dans la mesure où la ministre «a toujours tenu le même discours sur ce sujet, depuis deux ans», a soutenu son attaché de presse, Nicolas Murgia.

M. Murgia a rappelé que dès 2007, lors de l'étude du projet de loi 42, qui a ouvert la voie au projet pilote de radars photo, la ministre Boulet avait clairement indiqué que pour une question d'équité envers tous les usagers de la route, il n'était pas question que les entreprises de transport ou les propriétaires de parcs d'autocars soient dispensés de l'obligation de «gérer» le comportement des chauffeurs à qui ils confient leurs véhicules.

«Pour les mêmes raisons, a dit M. Murgia, nous ne devons pas empêcher la CTQ d'exercer son mandat de surveillance sur l'industrie. Un excès de vitesse, signalé par un policier ou par un radar photo, ça demeure un excès de vitesse.»