En plus de contrats sans appels d'offres publics, l'entreprise ABC Rive-Nord a obtenu des mandats du ministère des Transports qui, en bout de course, ont coûté plus cher que les prix proposés par ses compétiteurs.

Il y avait une atmosphère tendue, hier, à l'Assemblée nationale. Brandissant les engagements financiers soumis le printemps dernier, la chef intérimaire de l'ADQ, Sylvie Roy, a relevé qu'ABC avait, chaque fois qu'elle faisait face à des concurrents, soumis un premier prix qui allait être bonifié par la suite.

 

Après avoir menacé les médias de poursuites mardi, le député Whissell a paru sur le point de craquer, hier. Voyant le représentant de La Presse sortir de son bureau à l'Assemblée nationale (il lui avait donné rendez-vous pour le lunch), l'ex-ministre s'est imaginé que des documents avaient pu être subtilisés en son absence. Comme le journaliste n'avait, à l'évidence, aucun papier sur lui, l'ex-ministre a demandé à voir son cellulaire, soupçonnant que des photos de documents avaient pu être prises. Il n'a abandonné la partie que lorsqu'il a constaté qu'il n'y avait que des photos de famille dans l'appareil.

Les documents de mai dernier montrent qu'ABC Rive-Nord, la firme où David Whissell détient 20% des actions par l'entremise d'une société sans droit de regard, avait récolté 4,7 millions de contrats publics pour l'année 2008-2009. Dans bien des cas, ces contrats sans soumissions publiques remontaient aux années antérieures à l'accession de M. Whissell au Conseil des ministres, en juin 2007.

Dans quatre dossiers pour lesquels ABC a eu à passer par un appel d'offres, on constate que tout en soumettant le prix le plus bas au départ, ABC a par la suite obtenu des suppléments pour «imprévus» faisant grimper le prix au-delà de celui des compétiteurs. Pour 4,1 km de route à Oka, l'entreprise avait fixé son prix à 777 400$, et ses deux concurrents, à 849 000$. Une fois le mandat obtenu, les «imprévus» ont porté la facture d'ABC à 855 000$. Dans le cadre d'un autre contrat dans le même secteur, une soumission proposée à 275 000$ a été choisie aux dépens d'un concurrent qui offrait 299 000$. Une fois le contrat signé se sont ajoutés des imprévus et des «ajustements» qui ont porté le marché à 308 000$.

À Saint-Joseph-du-Lac, dans Deux-Montagnes, ABC a soumissionné à 399 000$, le concurrent à 415 000$. Avec les avenants, ABC a finalement obtenu 439 000$. Dans le cas d'un autre mandat en 2009 à Blainville, ABC a proposé ses services à 803 000$, le concurrent a offert 809 000$. Les travaux coûteront finalement 883 000$.

Selon Mme Roy, quand on observe ces dépassements systématiques, des questions se posent. Selon elle, le député Whissell ne devrait pas se contenter d'abandonner son poste de ministre, il devrait renoncer à son siège de député. «Il doit choisir entre l'asphalte et son poste de député», a-t-elle lancé.

En Chambre, le ministre délégué aux Transports, Norman McMillan, a répliqué aux attaques. Dans l'affaire Whissell, l'opposition conteste des pratiques en place depuis 35 ans au ministère québécois des Transports, explique-t-il. «Le problème n'est pas qu'il y ait des contrats de gré à gré depuis 35 ans. C'est que, pour la première fois, il y a un ministre qui profite du résultat de ce contrat», a répliqué la péquiste Agnès Maltais. Elle a cité la mise en garde transmise au député Whissell par le jurisconsulte de l'Assemblée nationale, Claude Bisson, juge à la retraite. En dépit de l'existence d'une fiducie sans droit de regard, «l'attribution d'un contrat de gré à gré pourrait laisser percevoir que l'ombre du député n'est pas étrangère au fait que le contrat a été accordé à l'entreprise en question, ce qui pourrait générer un conflit d'intérêts».

«On parle de perception... Le jurisconsulte n'a nulle part dit que je suis en conflit d'intérêts», a insisté M. Whissell à La Presse. L'ex-ministre a aussi déposé hier une lettre où, à sa demande, l'ex-juge lui suggère quels moyens utiliser pour que l'entreprise où il détient des intérêts ne signe plus de contrats sans appels d'offres avec le gouvernement.

En Chambre, Stéphane Bergeron, député péquiste de Verchères, a souligné que les contrats alloués par Québec à ABC sont passés de 5 à 11 millions depuis que David Whissell fait partie du Conseil des ministres.

Plus tard, dans un communiqué, le ministre MacMillan a réclamé la rétractation de la chef adéquiste. «Elle ne peut salir la réputation d'un député et d'une institution comme le ministère des Transports», a-t-il soutenu. Mme Roy, qui évoque souvent le cynisme des électeurs à l'endroit des politiciens, «doit savoir que le cynisme s'entretient lorsque l'on colporte des faussetés sur la place publique».