Surprise sur la colline parlementaire. Alors que le bâillon est généralement utilisé à la fin de la session parlementaire, le gouvernement Charest a décidé de s'en servir d'emblée. Objectif: faire adopter une loi qui autorise la province à être en déficit.

Dès la première semaine de la session parlementaire, le gouvernement Charest impose un bâillon pour adopter à toute vapeur un projet de loi qui l'autorise à plonger le Québec dans le rouge pendant quatre ans.Jeudi, en début d'après-midi, le premier ministre Jean Charest a demandé au président de l'Assemblée nationale, Yvon Vallières, de convoquer tous les députés pour une séance extraordinaire aujourd'hui.

Les règles normales de procédure sont suspendues. Le projet de loi 40 sur l'équilibre budgétaire sera adopté en quelques heures, à la suite de débats écourtés. Déposé en mai dernier, ce projet de loi vise à suspendre l'application de certaines dispositions de la loi antidéficit pour permettre au gouvernement de ne pas avoir à équilibrer ses budgets pendant quatre ans. Le gouvernement Charest prévoit des déficits totalisant plus de 11 milliards de dollars, dont 3,9 milliards cette année.

Le coup de force du gouvernement a causé la surprise sur la colline parlementaire. C'est que le recours au bâillon, une mesure exceptionnelle, se fait généralement à la toute fin d'une session parlementaire, lorsque le gouvernement juge impossible d'obtenir l'accord de l'opposition et tient à aller de l'avant. Dans le cas présent, la session parlementaire a débuté mardi.

«Les choses n'avancent pas», a plaidé le ministre des Finances, Raymond Bachand. «L'opposition a clairement indiqué qu'elle n'acceptait pas le fond du projet de loi.»

«C'est le retour à l'État autoritaire!» a tonné le leader parlementaire de l'opposition officielle, Stéphane Bédard. «C'est Jean Charest à la sauce 2003. Il ne l'a pas dit en élections qu'il voulait remontrer ce côté sombre de sa personnalité: En dehors de moi, point de salut. Il revient avec la bonne vieille méthode, il rentre les choses de force.»

Pour justifier le recours à la «motion de procédure d'exception» - mieux connue sous le nom de bâillon -, Raymond Bachand a affirmé que 50 heures de consultations et de débats ont déjà eu lieu le printemps dernier et qu'un seul article a été adopté jusqu'à maintenant.

Selon le grand argentier du gouvernement, «la loi 40 est essentielle» pour assurer «la crédibilité des finances publiques du Québec». «Il n'y a pas de menace» de la part des agences de notation au sujet de la cote de crédit du Québec, «mais il faut un moment donné avoir une maison qui est en ordre», a-t-il ajouté.

La réforme comptable contenue dans le projet de loi - et réclamée par le vérificateur général - doit aussi être adoptée afin de publier la mise à jour économique en octobre de même que les états financiers de l'année budgétaire terminée le 31 mars dernier.

Un «chèque en blanc»

Les explications du gouvernement sont «loufoques» aux yeux de Stéphane Bédard. «Ce que voulait Jean Charest, c'est un chèque en blanc pour pouvoir endetter les Québécois», a-t-il lancé. «On veut nous forcer à accepter un chèque en blanc avec un fusil sur la tempe», a renchéri le député adéquiste François Bonnardel.

Depuis le printemps dernier, l'opposition refuse de donner son aval au projet de loi. Elle veut d'abord connaître les mesures qu'entend prendre le gouvernement pour assurer le retour à l'équilibre budgétaire. Seulement une partie du plan est connue: hausse de la TVQ, indexation des tarifs des services publics et croissance des dépenses limitée à 3,2%.

En juin dernier, le gouvernement avait accepté d'amender le projet de loi pour garantir le retour au déficit zéro en 2013-2014. Mais ce n'était pas suffisant pour l'opposition.

Jeudi matin, le Parti québécois et l'Action démocratique du Québec avaient mis un peu d'eau dans leur vin. Ils avaient proposé de scinder le projet de loi afin d'adopter immédiatement les articles qui portent sur la réforme comptable et qui ne font l'objet d'aucun litige. Mais Jean Charest avait déjà pris sa décision. Le gouvernement regrette même de ne pas avoir imposé le bâillon dès le printemps. «On aurait dû l'adopter à la fin juin», a affirmé Raymond Bachand. Le gouvernement espérait à l'époque que l'opposition change d'idée au cours de l'été.

C'est la sixième fois que le gouvernement impose un bâillon depuis son arrivée au pouvoir, mais la première fois depuis décembre 2006. En tout, 23 projets de loi ont été adoptés entre 2003 et 2006 au moyen de cette mesure spéciale.

Le bâillon qui est imposé aujourd'hui est un peu différent de celui utilisé dans le passé. Selon une réforme parlementaire qui vient d'entrer en vigueur, le gouvernement ne peut recourir à cette motion d'exception que pour adopter un projet de loi à la fois. Auparavant, plusieurs lois pouvaient être adoptées d'un seul coup. Cette contrainte ne pose toutefois aucun problème au gouvernement cette fois-ci, puisque seul le projet de loi 40 sera réglé sous le bâillon.