Oubliez les péages partout au Québec et les droits de scolarité au collégial. Le gouvernement Charest a déjà choisi sa cible pour augmenter ses recettes rapidement : les tarifs d'Hydro-Québec.

Au coeur du débat des prochaines semaines : le «bloc patrimonial» d'Hydro-Québec, une énorme quantité d'énergie (165 térawattheures) dont le prix est artificiellement bloqué à 2,8 cents le kilowattheure, environ le tiers de sa valeur sur les marchés d'exportation.

Des sources expliquent que toutes les autres pistes d'augmentation de tarifs sont soit trop complexes pour être mises en place rapidement, soit trop limitées pour générer des revenus appréciables.

Sans le dire, le ministre Raymond Bachand a d'ailleurs révélé le choix du gouvernement dans une entrevue avec Paul Arcand, lundi matin. L'instauration de péages routiers est une mesure «compliquée», a-t-il dit. De même, bien des possibilités évoquées par le PLQ au cours de fin de semaine, par exemple taxer les grands consommateurs d'eau, représentent des rentrées marginales dans les coffres de l'État. Quand on lui a rappelé le projet de taxer davantage les bonbons et les croustilles, le ministre s'est esclaffé et a avoué ne pas avoir de chiffres.

En revanche, dans le cas des tarifs d'Hydro-Québec, M. Bachand disposait de données bien précises. Par exemple, une majoration de 1 cent le kilowattheure fait entrer 1,8 milliard de dollars dans les coffres de l'État. Si on met en place des mesures compensatoires de 300 millions «pour augmenter la protection de ceux qui en ont moins les moyens», a-t-il lancé, il restera tout de même un gain de 1,5 milliard pour équilibrer les finances publiques, a-t-il expliqué. Plus tard, sa porte-parole a précisé que 1 cent d'augmentation représente plutôt 1,4 milliard de gains nets.

Plusieurs commissions d'enquête ont recommandé cette augmentation au fil des ans, de même que bon nombre d'économistes, a rappelé le ministre.

La fin de semaine dernière, en marge du conseil général du Parti libéral, le nouveau ministre du Développement économique, Clément Gignac, a d'ailleurs répété ce qu'il a maintes fois dit dans sa vie d'économiste : il faut hausser le prix de l'électricité. Les bas tarifs sont un encouragement à la consommation et, au bout du compte, profitent davantage aux nantis. C'est aussi ce qu'il a dit lundi à RDI.

Une idée récurrente

Lors de la création de la Régie de l'énergie, à la fin des années 90, le gouvernement Bouchard avait soustrait la production existante à la compétence du nouvel organisme. On avait expliqué qu'il s'agissait d'un «héritage collectif» des Québécois, qui devaient profiter de la richesse hydraulique de leur territoire.

Les spécialistes divergent d'opinions sur la façon d'augmenter les tarifs de ce «bloc patrimonial». En principe, Québec aurait besoin d'un projet de loi. En revanche, comme il avait instauré cette protection par simple décret, elle pourrait être retirée de la même manière. Lundi, le ministre Bachand n'a pas parlé de projet de loi ; il semblait croire qu'il pourrait trancher avec une annonce dans son premier budget.

Dans cette opération délicate, Québec pourra compter sur un régiment d'économistes et de présidents de commission d'enquête qui, depuis près de 10 ans, préconisent unanimement une hausse significative des tarifs d'électricité. Au début de 2005, l'ancien président d'Hydro-Québec, André Caillé, avait exhorté Québec à hausser la tarification du bloc patrimonial. Il proposait même de le faire sans passer par un projet de loi, «pour éviter un méchant débat» à l'Assemblée nationale. Le premier ministre Charest l'avait désavoué à bout portant. André Caillé a été en sursis pendant quelques mois avant d'être éjecté avant la fin de son mandat.

Rapports unanimes

Mais André Caillé n'est pas seul. Plus récemment, au printemps 2008, Claude Montmarquette, du Cirano, a produit un rapport sur la tarification dans lequel il ciblait les tarifs d'Hydro. «L'argent est dans l'électricité, c'est évident», dit l'économiste, joint lundi par La Presse. Dans son rapport, il proposait de «supprimer le bloc patrimonial» pour permettre à la Régie de fixer les prix de toute l'énergie. On estimait à 1,8 milliard de dollars les revenus supplémentaires venus de la consommation résidentielle, et à 448 millions les gains sur la partie «commerciale» de la consommation si les tarifs étaient élevés à la moyenne canadienne. «En tout, c'est 2,3 milliards de recettes par année. Si on adopte 300 millions de mesures pour les plus démunis, il reste 2 milliards», résume Claude Montmarquette. Il estime que, pour chaque dollar d'augmentation de la facture d'électricité, les abonnés vont réduire de 10% leur consommation. Bien avant, Alban D'Amours avait proposé cette solution dans les études du Mouvement Desjardins.

Spécialiste de ces questions, Jean Thomas Bernard, professeur à l'Université Laval, explique qu'il faudrait hausser les tarifs d'environ 30% pour qu'ils reflètent les coûts de production actuels. Le prix moyen de toute la production est d'environ 7 cents le kilowattheure actuellement.

La nouvelle énergie - celle qui sera produite à la Romaine, par exemple - coûtera environ 10 cents le kilowattheure (10,3 pour l'énergie éolienne). «Hydro exporte à 9 cents, elle nous vend à moins de 3 cents... Chez nos voisins, cela coûte beaucoup plus cher : en Ontario, c'est 70% de plus», poursuit l'universitaire.

Dans son rapport sur la pérennité du réseau de la santé, en 2005, le banquier Jacques Ménard avait préconisé une hausse de 2% des tarifs d'Hydro en plus des majorations calculées par la Régie, un pactole de 11,2 milliards d'ici à 2015.

Quelques mois plus tard, les «lucides», un groupe dont faisait partie l'ex-premier ministre Lucien Bouchard, ont aussi proposé une «hausse des tarifs d'électricité, à la fois substantielle et progressive». M. Bouchard disait «qu'on était un marchand de bonbons qui avait le choix entre les vendre ou les manger», rappelle M. Bernard.

La commission Castonguay sur le financement du réseau de la santé avait elle aussi préconisé cette hausse, conjuguée à une augmentation de la TVQ.

À la fin des années 80, Guy Coulombe, ancien patron d'Hydro, avait proposé une majoration automatique des tarifs de 0,25% pendant des décennies pour dégager des revenus. Le gouvernement Bourassa avait trouvé ce plan trop risqué politiquement et l'avait mis de côté.