Le gouvernement vient de se donner le droit d'accepter une proposition non conforme à son appel d'offres pour la construction du nouvel hôpital du Centre universitaire de santé McGill en partenariat public-privé (PPP), a constaté La Presse.

Le décret, publié mercredi dernier dans la Gazette officielle, a été adopté le 16 septembre, quelques jours après l'ouverture des soumissions pour le futur hôpital qui sera construit sur le Campus Glen, au sud de Westmount.

L'appel d'offres obligeait les consortiums à emprunter les fonds nécessaires à la construction sur les marchés financiers. C'est le propre d'un PPP. Cette obligation semble subtilement disparaître. Depuis la crise, les institutions financières hésitent à prêter. Mais aucun des consortiums ne sera pénalisé s'il n'a pas trouvé le financement requis.

Le consortium gagnant sera choisi le 3 décembre. «Le CUSM (Centre universitaire de santé McGill) et le gouvernement pourront, à leur seule discrétion, accepter une proposition non conforme», stipule le décret.

Quant au consortium perdant, il se verra remettre une compensation pouvant atteindre 7,5 millions de dollars afin de couvrir les frais engendrés par la préparation de sa soumission.

«Le gouvernement change les règles du jeu après avoir ouvert les enveloppes de soumission, s'est étonnée Marie-Claude Prémont, juriste à l'École nationale d'administration publique, quand La Presse lui a transmis le décret. C'est renversant.»

Une voie différente

Normalement, quand des entreprises déposent des soumissions non conformes à la suite d'un appel d'offres, le gouvernement les refuse. Il envisage encore moins de les compenser. Mais, en vertu du décret du 16 septembre, «une proposition sera réputée conforme même si le soumissionnaire ne fournit pas les confirmations de disponibilité de financement prévues à l'appel de propositions».

L'un des deux consortiums présélectionnés au CUSM compte dans ses rangs la firme de construction Simard-Beaudry, de Tony Accurso, et une composante du groupe Dessau, soit l'entreprise Verreault. Simard-Beaudry et Dessau sont au coeur du scandale des compteurs d'eau à Montréal. Par le décret du 16 septembre, le gouvernement fait pire que ce que le vérificateur général de Montréal a reproché à la Ville de Montréal dans le contrat des compteurs d'eau, affirme Mme Prémont.

«Non seulement des aspects importants du projet sont modifiés entre la procédure de qualification et la soumission des propositions, mais on va même jusqu'à changer les règles après avoir commencé l'évaluation des propositions», ajoute-t-elle.

Lors de l'appel de propositions pour les compteurs d'eau, la Ville de Montréal exigeait que les soumissionnaires empruntent les fonds nécessaires sur les marchés financiers, sur le mode PPP. Après coup, elle a laissé tomber cette exigence et offert de financer elle-même le projet. Le vérificateur a jugé inacceptable que les règles du jeu changent en cours de route, au profit du consortium GENIeau (formé par Simard-Beaudry et Dessau).

Jeudi, La Presse a posé des questions au cabinet du ministre de la Santé, Yves Bolduc, au sujet du décret du 16 septembre concernant le CUSM, et qui avait été publié la veille. Mais, depuis, personne ne nous a rappelé, malgré de nombreux messages laissés à l'attachée de presse du ministre.

Appel au vérificateur général

Le député Sylvain Simard, critique du Parti québécois pour les finances publiques, a dit qu'il avait l'intention de saisir le vérificateur général du Québec de cette affaire. Il veut lui demander de se pencher sur le processus d'appel d'offres au CUSM et d'examiner s'il est conforme aux lois.

«Le décret (du 16 septembre) essaie de rendre légal ce qui ne peut pas l'être, a dit M. Simard. Pour présenter une soumission, il fallait garantir la capacité d'aller emprunter les sommes nécessaires à la construction. De nombreux entrepreneurs auraient pu participer à l'appel de candidatures : la concurrence aurait été tout à fait différente s'ils avaient su qu'il n'était pas obligatoire d'emprunter eux-mêmes les fonds auprès d'institutions financières.

«Le gouvernement maintient sa volonté d'aller en PPP alors que les marchés financiers ne rendent plus possible cette formule. Cela signifie que les citoyens n'auront pas eu les bénéfices d'un véritable appel d'offres, et devront financer un partenariat qui n'est plus public-privé que de nom.»

Le CUSM s'est engagé dans un projet de redéploiement de 1,6 milliard de dollars. L'appel de propositions du Campus Glen, qui constitue la partie la plus importante du projet, a été lancé en octobre 2008, après que les deux consortiums eurent été qualifiés à poursuivre la démarche en mode PPP.