Le ministère des Transports viole ses propres règles en fractionnant des contrats pour éviter de lancer des appels d'offres, a accusé l'Action démocratique du Québec hier. Ces nouvelles allégations ont fait bondir la ministre Julie Boulet, surtout que l'ADQ a ajouté que les contrats sont le plus souvent attribués à des entreprises dirigées par des donateurs libéraux.

«Je suis choquée! Il y a des limites à dire n'importe quoi quand on ne comprend pas comment ça fonctionne», a lancé la titulaire des Transports, qui s'est présentée en conférence de presse en compagnie de deux hauts fonctionnaires. Elle a affirmé que «c'est légal au Québec de faire du financement politique, que les entreprises donnent». Or, les dons d'entreprises sont interdits par la loi.Quelques heures plus tôt, Sylvie Roy avait fait ses nouvelles allégations. L'ADQ a analysé 2400 contrats de moins de 25 000$, d'une valeur totale de 35 millions, qui ont été accordés en 2008-2009. Rappelons que les contrats de plus de 25 000$ doivent faire l'objet d'un appel d'offres sur invitation; ceux de plus de 100 000$, d'un appel d'offres public.

Sylvie Roy dit avoir découvert 132 cas de fractionnement, des cas où la même entreprise a obtenu, sans appel d'offres, plusieurs contrats de moins de 25 000$ - le plus souvent deux contrats - «pour les mêmes travaux, dans un très court laps de temps et à des endroits très proches». Ainsi, 372 «contrats négociés» ont été accordés, a indiqué Sylvie Roy. Selon elle, le Ministère aurait dû lancer des appels d'offres pour les 132 contrats qu'il a plutôt fractionnés.

Le fractionnement, «c'est une pratique qui permet de ne pas aller en appel d'offres. Ça ne devrait pas se faire. Elle empêche la transparence et la concurrence, donc le plus bas prix», a dit Mme Roy. Elle a souligné que le vérificateur général a déjà dénoncé le fractionnement des contrats.

Selon elle, un peu plus de 60% de la valeur des contrats fractionnés, mais aussi de l'ensemble des contrats de moins de 25 000$, ont été attribués à des entreprises dont les administrateurs contribuent à la caisse du PLQ.

Elle a donné l'exemple de la firme Grimard, dont l'un des administrateurs est Gilbert Grimard, vice-président du PLQ et président de l'Association de la construction du Québec. La firme a obtenu un contrat de 23 500$ en avril 2008 puis un autre de la même valeur un mois plus tard, tous deux pour des travaux électriques dans le tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. «On ne peut plus parler de hasard», a dit Mme Roy, soulignant que M. Grimard s'oppose à la tenue d'une enquête publique sur l'industrie de la construction.

En entrevue à La Presse, Gilbert Grimard a rejeté les allégations de l'ADQ. Son frère, Jacques Grimard, a expliqué que l'entreprise a obtenu en sous-traitance un contrat de la part d'un entrepreneur qui avait remporté un appel d'offres pour des travaux dans le tunnel. Puis, a-t-il ajouté, des modifications aux travaux ont été exigées à des moments différents et dans deux endroits distincts, ce qui explique que deux contrats de moins de 25 000$ ont été accordés.

Julie Boulet nie toute irrégularité dans ce cas, comme dans tous les autres soulevés par l'ADQ, et rejette les accusations de favoritisme. «L'attribution des contrats, ça s'arrête à l'étage du sous-ministre. Il n'y a aucune intervention politique.» Elle a ajouté que des firmes mentionnées par Mme Roy ont également fait des dons à l'ADQ.

Le Ministère constitue chaque année, à la suite d'un appel d'offres public, une liste de firmes qui peuvent obtenir des petits contrats de gré à gré dans chaque région, a expliqué le directeur des contrats et des ressources matérielles, Jacques Darveau. Un comité choisit ces entreprises sur la base de la qualité de leurs services. Lorsqu'un contrat doit être accordé, l'entreprise la plus près des travaux est privilégiée, si elle est disponible. Le Ministère assure une «répartition équitable» des contrats entre les firmes qualifiées. C'est le Ministère qui décrète le prix de ces petits contrats. «Si la même entreprise obtient plusieurs petits contrats, ce n'est pas du fractionnement», a plaidé le directeur des services à la gestion, André Caron.

Selon Sylvie Roy, Jacques Duchesneau, nommé à la tête d'une unité anticollusion, doit enquêter sur le fractionnement des contrats. «Il va pouvoir regarder tout ce qu'il veut», a répondu Julie Boulet. M. Duchesneau n'aura pas de pouvoirs d'enquête importants. «Il ne vient pas chez nous à titre de policier», a dit la ministre.