Québec a payé plus de 125 millions de dollars en médicaments à des fraudeurs et à des personnes qui se sont inscrits par erreur au régime d'assurance public au cours des 10 dernières années. Et il a du mal à récupérer son argent.

L'an dernier seulement, les sommes dues pour «l'utilisation sans droit» de l'assurance médicaments se sont élevées à 18,8 millions de dollars, selon les données de la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) qu'a obtenues La Presse en vertu de la loi sur l'accès à l'information.

Toujours en 2008-2009, la Régie a récupéré un peu moins de 8,3 millions de dollars, ce qui représente 44% des sommes dues au cours de l'année. Notons que les fonds récupérés durant une année incluent des sommes qui avaient été facturées au cours des années précédentes.

Le portrait est un peu moins sombre pour 2007-2008. Quelque 10,7 millions en médicaments ont été payés à des personnes non admissibles au régime public, alors que 7,3 millions (69%) ont été retrouvés.

L'État a déboursé un record de 22,7 millions de dollars en 2002-2003 pour couvrir les coûts de médicaments consommés par des fraudeurs ou des personnes inscrites par erreur au régime public. Québec a recouvré 11,6 millions cette année-là (51%).

Depuis 10 ans, les fraudes et les irrégularités à l'assurance médicaments ont coûté 125,3 millions de dollars à la RAMQ. C'est à peu près le budget annuel du ministère des Relations internationales. Un peu plus de 72 millions ont été récupérés au fil des ans, ce qui représente 58% des sommes dues.

Bien entendu, les données de la RAMQ ne font état que des fraudes et des irrégularités qu'elle est parvenue à mettre au jour.

«Comme n'importe quelle organisation publique ou entreprise privée, il y a des dettes à la suite de fraudes ou d'irrégularités. Je n'en connais pas beaucoup qui sont capables de tout récupérer. Mais on fait le maximum pour récupérer le plus possible», a affirmé le porte-parole de la RAMQ, Marc Lortie.

La RAMQ conclut parfois une entente avec les fautifs pour leur permettre de payer la facture en quelques mois ou en quelques années. Elle efface l'ardoise dans des «cas pathétiques», «des gens démunis qui ne sont pas capables d'arriver», a indiqué M. Lortie.

En vertu de la loi, tout Québécois doit être couvert en tout temps par un régime d'assurance médicaments. Si une personne est admissible à un régime privé, par son employeur ou son association professionnelle, elle a l'obligation d'y adhérer, d'inscrire également son conjoint et ses enfants si elle en a. Autrement, elle doit souscrire au régime public d'assurance médicaments, créé en 1997.

Les fraudeurs utilisent toutes sortes de stratagèmes pour tromper l'État et échapper à leurs obligations légales. Des couples font croire à Québec qu'ils ne sont que des colocataires. Par exemple, l'homme s'inscrit au régime privé offert par son employeur, mais il omet sciemment de couvrir sa conjointe, qui s'inscrit au régime public. Le but est d'éviter de payer pour une couverture familiale. Les primes du régime public sont généralement moins chères que celles de l'assurance privée. Autre exemple : des membres d'une association professionnelle qui offre un régime collectif n'y adhèrent pas sciemment et s'inscrivent à l'assurance publique.

En 2004, le vérificateur général avait dénoncé «plusieurs lacunes» dans le contrôle de l'admissibilité au régime public. Il avait révélé que 43% des jeunes de 18 à 25 ans qui étaient inscrits à titre d'étudiants à l'assurance médicaments en 2002 n'étaient pas aux études. Ces 28 420 jeunes adultes ont pu bénéficier de la pleine gratuité des médicaments alors qu'ils n'y avaient pas droit. Le phénomène existe toujours même si la Régie n'en connaît pas l'ampleur exacte, a dit Marc Lortie. Le vérificateur avait ajouté dans son rapport que 500 professionnels de la santé adhéraient au régime public alors qu'ils ne pouvaient jouir de cet avantage en vertu de la loi.

«Il y en a qui s'essaient, oui, mais il y a aussi des cas où ce n'est pas de la mauvaise foi. C'est plutôt de l'ignorance», a affirmé M. Lortie. Treize ans après la création du régime, des Québécois ne connaissent en effet toujours pas les règles entourant l'assurance médicaments. Certains s'inscrivent donc au régime public alors qu'ils devraient souscrire à un régime privé offert par leur employeur ou leur association professionnelle. Selon le rapport du vérificateur général, la RAMQ estimait que plus de 500 000 dossiers par an comportent un «risque d'inexactitude». «On prend différents moyens, comme des campagnes publicitaires, pour informer le mieux possible les gens», a affirmé M. Lortie.

Le coût de l'assurance médicaments a atteint 3,7 milliards de dollars l'an dernier. C'est trois fois plus qu'au moment de la création du régime, en 1997. Les contributions des personnes assurées (prime, franchise et coassurance) ont atteint 1,4 milliard en 2008-2009. L'État acquitte le reste de la facture. Environ 3,2 millions de Québécois sont inscrits au régime public d'assurance médicaments. Un million de personnes bénéficient de la gratuité des médicaments, comme les assistés sociaux et les personnes âgées de 65 ans et plus qui reçoivent au moins 94% du supplément de revenu garanti.

- Avec la collaboration de William Leclerc