Les allégations concernant l'existence d'un «marché secondaire de revente de permis» de garderies interpellent le Vérificateur général du Québec. Alors que le ministre de la Famille, Tony Tomassi, refuse de lui demander une enquête, Renaud Lachance envisage de se pencher sur cette affaire que le Parti québécois qualifie de «véritable racket».

 «Ça mérite qu'on évalue la pertinence de faire un mandat de vérification ou pas», a affirmé hier à La Presse la porte-parole du Vérificateur, Raymonde Côté-Tremblay. «Ça fait plus de 10 ans qu'on n'a rien fait dans les garderies.

Ce serait peut-être un mandat intéressant», a-t-elle ajouté, refusant toutefois de garantir formellement qu'il y en aurait un. Le Vérificateur n'a pas l'habitude d'annoncer les dossiers sur lesquels il fait une investigation.

«Il y a des critères qui font que ce mandat-là (sur les garderies) pourrait être choisi, mais je ne peux pas vous dire quand, ni la portée», a-t-elle indiqué. Elle a souligné le nombre important de présumées irrégularités qui circulent sur l'attribution de places subventionnées et l'ampleur des fonds publics investis dans le programme des garderies - près de deux milliards par année.

Débat orageux

Les allégations d'un donateur libéral et «connaissance» du ministre Tomassi, Ezio Carosielli, propriétaire de 10 garderies privées, ont provoqué un débat orageux à l'Assemblée nationale. Selon Pauline Marois, M. Carosielli a mis au jour «un véritable racket de revente de permis», attaque qui a provoqué la colère des libéraux.

En entrevue à La Presse, cet avocat a dénoncé l'existence d'un « marché de revente secondaire » dans lequel un permis de garderie pourrait atteindre 250 000 $, voire un demi-million de dollars, en fonction du nombre de places subventionnées qui y est rattaché. Selon lui, des personnes ont obtenu du Ministère un permis - au coût de 157 $ - et des places subventionnées lors de l'appel d'offres de 2008 sans vraiment avoir l'intention d'exploiter une garderie ou sans avoir les « ressources » pour en ouvrir une. Il dit avoir reçu une proposition de «gens» qui voulaient lui « vendre leur bout de papier » à gros prix.

«On se retrouve devant une sorte de marché spéculatif du permis de garde, a lancé Pauline Marois en conférence de presse. C'est immoral et scandaleux.» Le gouvernement Charest a «perverti le système» des garderies et «en a fait une machine à collecter des fonds», a ajouté la chef péquiste, rappelant les allégations de favoritisme à l'égard de donateurs libéraux.

Elle demande au premier ministre d'exiger la démission du ministre Tomassi.

Jean Charest a accusé le PQ de «construire autour de certains faits une histoire pour essayer de salir les gens». De son côté, Tony Tomassi a assuré que la loi «encadre très bien la vente d'une garderie». Le Ministère doit être avisé par écrit avant tout changement de propriétaire.

Des vérifications sont faites notamment sur les antécédents judiciaires du nouvel administrateur. Celui-ci obtient ensuite un nouveau permis avec les mêmes places subventionnées que son prédécesseur. Soulignons que le permis lui-même ne peut être cédé, bien que, dans le milieu, on parle aussi bien de vente de garderie que de vente de permis assorti de places subventionnées.

Transactions

Environ une quinzaine de garderies privées - sur les 600 que compte le réseau - ont changé de propriétaire au cours de la dernière année, selon des estimations du Ministère, qui n'a vu aucun problème dans ces transactions.

Il n'est pas en mesure de préciser depuis combien de temps ces garderies existaient avant qu'elles soient vendues.

Le sous-ministre adjoint, Jacques Robert, n'a jamais entendu parler d'un «marché de la revente secondaire». À la suite de l'appel d'offres de 2008, «on n'a pas senti qu'il y avait des promoteurs qui n'étaient là que pour venir chercher une autorisation et qui ne cherchaient qu'à vendre. On a vu des gens qui cherchaient à réaliser les projets», a-t-il affirmé, soulignant que le Ministère assure un suivi auprès des promoteurs.

Il n'a «pas vu» de vente avant même l'ouverture d'une garderie. Mais il apporte la précision suivante lorsqu'un permis est attribué à une personne morale plutôt que physique et qu'une transaction survient, que la garderie soit déjà ouverte ou non : «Si ce sont des actionnaires nouveaux dans une corporation existante» - donc que la personne morale détenant le permis continue de porter le même nom -, «je ne suis pas en mesure de le voir. Et ça pourrait arriver».

Le président de l'Association des garderies privées du Québec, Sylvain Lévesque, n'a jamais eu connaissance du présumé «marché secondaire».

«Mais si ça existe, c'est inacceptable», a-t-il lancé. Il s'interroge sur les motivations d'Ezio Carosielli - qui n'est pas membre de son association -, soulignant que ses 33 projets de garderie n'ont pas été retenus par le Ministère en 2008.