Ce devait être le budget des hausses de tarifs. Pour l'électricité, on avait préparé le terrain tout l'automne. Puis on a opté pour des hausses de taxes, bien plus simples.

Elles seront au rendez-vous. Mais, sondages en main, comme vient de le faire Ottawa, le gouvernement Charest a décidé de présenter le budget du 30 mars comme un exercice de compression de dépenses. Entrevue avec le Premier ministre.

Q On a rarement vu autant de consultations prébudgétaires : un comité d'économistes prépare le terrain en multipliant les études. Ce budget est-il plus difficile que les autres à préparer?

R Ce budget sera très important, un budget charnière. Il ne sera pas comme les autres parce que la crise a changé le contexte. Il doit nous inscrire dans la relance. On va faire des gestes importants et commencer dans notre cour. Le ménage va commencer dans nos affaires à nous. L'essentiel de l'effort de retour à l'équilibre se fera à l'intérieur du gouvernement avant de demander un effort supplémentaire aux Québécois.

On veut éviter les décisions à courte vue qui causent des problèmes graves à long terme. On veut des décisions qui tiennent la route dans 10 ou 15 ans. Le 30 mars prochain, je ne veux pas d'un budget qui va nous faire regretter les décisions de 2010.

Q En dépit des engagements du gouvernement, la dette n'a cessé d'augmenter. Le vérificateur a encore récemment sonné l'alarme. On va ajouter des déficits jusqu'en 2013. La dette est-elle encore une priorité?

R Quand on prend du recul, on voit que la performance économique du Québec est meilleure qu'ailleurs. Notre déficit est plus petit qu'à bien des endroits. Quand on parle de la dette, au Québec, on est dans la moyenne des pays de l'OCDE. C'est quand on le met en lien avec la démographie que le problème de la dette devient important, avec le vieillissement de la population. C'est ce qui nous amène à faire des gestes plus rapidement dans le prochain budget. On agit alors que, partout ailleurs, les gouvernements sont en mode « pause » parce que la reprise est fragile.

Q Si les tarifs d'électricité avaient été conformes au marché, les Québécois seraient aussi riches que les Albertains aujourd'hui. Voudrez-vous toucher au «bloc patrimonial» - les 16 térawatts d'énergie au rabais considérés comme un héritage collectif par les Québécois?

R L'électricité a beaucoup servi comme outil de développement économique pour attirer des investissements. Cela a contribué à faire du Québec un endroit où les coûts d'exploitation sont les plus bas au monde. Il faut faire un équilibre là-dedans. On s'est posé des questions et vous verrez les réponses au budget. Ces réflexions (de l'automne 2009) ont fait oeuvre utile, on a fait la distinction entre les tarifs et les impôts. Sur les tarifs d'électricité, un citoyen peut contrôler sa consommation, les gens ont davantage de choix, même chose pour la TVQ. Ce n'est pas le cas pour les impôts.

Q André Caillé, ex-président d'Hydro, a été désavoué parce qu'il a lancé l'idée de toucher au bloc patrimonial. Et vous le feriez aujourd'hui?

R À ce moment-là, ce n'était pas dans les intentions du gouvernement, on venait de dégeler les tarifs d'électricité. On doit faire ça un pas à la fois. La hausse des tarifs, c'est complexe. Quelle que soit la décision, l'effort principal se fera du côté des dépenses. L'effort va commencer d'abord par le gouvernement. Le gouvernement doit donner l'exemple.

Q Cela suppose que des missions gouvernementales vont être revues ? Quels programmes, quelles activités sont moins importants?

R Il faut porter une attention particulière à la santé. Tout le monde est aux prises avec le même problème. Il y a des missions essentielles : 75% de la progression de toutes les dépenses de programmes depuis 2003 vont à la santé et à l'éducation. Dans notre propre gestion à nous, il faut faire un effort. On remplace un poste sur deux, il y a maintenant plus d'employés parce qu'il y a plus d'infirmières, c'est ce qu'on voulait.

Q Cette semaine, Claude Castonguay a rappelé que ses recommandations de 2008 sont en bonne partie restées lettre morte. Auparavant, Jacques Ménard et même Michel Clair étaient allés dans la même direction : hausser la TVQ pour financer la santé. Seront-ils entendus?

R On doit porter une attention particulière au financement de la santé. On peut se demander si on continue avec le même mécanisme. C'est dans l'intérêt de tous qu'on puisse singulariser ce qui se passe en santé, qu'on puisse ensemble mesurer ce qu'on investit dans le réseau et ce que l'avenir nous réserve. Cela me paraît important, un geste utile dans le contexte actuel. Il faut qu'on puisse reconnaître davantage

cet effort.

La réorganisation du réseau a été un chemin de croix. Prenez du recul pour voir ce qui se fait au Québec. On est en avance. Les balises de six mois mises en place après l'arrêt Chaoulli, ça fonctionne ! Genoux, cataracte, hanche. En cardiologie, les délais ont été beaucoup réduits ; en radio-oncologie, 99% des gens reçoivent leurs soins en deçà de quatre semaines - c'était 40 % sous le PQ.

Le système va mieux, mais la demande est plus forte. Il y a 135% plus de gens qui fréquentent les urgences aujourd'hui par rapport à 2003. Il y a plus de monde parce que, comme vous et moi, ils sont plus âgés.

Q Le dernier budget annonçait une hausse de la TVQ pour le 1er janvier 2011. M. Bachand a évoqué une seconde hausse de 1% pour combler l'espace laissé vacant par Ottawa. Or, il a aussi dit qu'il ne bougerait pas tant que la reprise économique ne serait pas arrivée. La récession est-elle terminée?

R C'est une grande question. Personne ne peut donner de réponse définitive. À Davos (en février), il y avait consensus sur le fait que la reprise est fragile. Elle est plus avancée au Québec qu'ailleurs, mais aucun économiste sérieux ne dira que c'est fini.

Q Monique Gagnon-Tremblay vient d'annoncer un sprint de négociations avec le secteur public afin de parvenir à une entente pour le 31 mars. Est-ce réaliste?

R On va faire tous les efforts pour arriver au 31 mars. On convient avec eux qu'il faut faire une place importante à la réorganisation du travail. On n'est pas dans un environnement d'affrontement.

Q Vos offres salariales de 7% en cinq ans sont à prendre ou à laisser?

R Partout ailleurs, c'est le gel. Pas besoin d'un grand tour d'horizon pour voir qu'on est à peu près le seul endroit à ne pas proposer le gel. Nous avons envoyé un signal fort en acceptant d'emblée une approche qui évitait ce gel. Nous sommes généralement satisfaits de l'approche adoptée par les leaders syndicaux. Ils font leurs pressions. Ce n'est pas par accident que les syndiqués, les médecins, les infirmières font les nouvelles. C'est comme le Red Bull Crashed Ice, ils sont à la ligne de départ. Je ne dis pas que c'est du théâtre - cela fait partie des représentations qu'ils font pour avoir leur part du gâteau. Ils dépensent des millions de dollars en publicité!