Lorsqu'il était ministre de la Justice, Marc Bellemare aurait nommé «deux ou trois» juges sous la pression des financiers du Parti libéral. C'est ce que l'avocat de Québec a dit hier dans deux entrevues télévisées.

Devant les nouvelles allégations de l'ancien ministre de la Justice Marc Bellemare, le premier ministre a décidé de contre-attaquer. Me Bellemare recevra aujourd'hui une mise en demeure lui demandant de se rétracter formellement.

Sans quoi, l'ancien ministre de la Justice s'expose à être poursuivi pour diffamation, a indiqué hier soir à La Presse la vice-première ministre Nathalie Normandeau.

Cette riposte survient après la diffusion d'une série de révélations fort embarrassantes pour M. Charest, par Me Bellemare.

Pour l'avocat de Québec, M. Charest était «très bien informé» que de l'argent comptant circulait à la permanence du PLQ, des fonds illicites apportés par un entrepreneur en construction, un important collecteur de fonds pour les libéraux.

Coup de théâtre hier, dans une entrevue percutante à Radio-Canada, Me Bellemare a publiquement soulevé le voile sur les révélations qu'il comptait faire s'il était convoqué, comme il le souhaitait, devant une commission parlementaire ou une commission d'enquête sur l'industrie de la construction. Outre des transactions impliquant de l'argent liquide, Me Bellemare parle de trafic d'influence; il lui avait fallu nommer des amis du PLQ à des postes de juges à la Cour du Québec.

Joint hier soir, le directeur général des élections, Marcel Blanchet a dit trouver «un peu désolant que Me Bellemare ait ainsi décidé d'attiser le feu». L'ex-ministre est engagé dans «ce qui ressemble à des mesures dilatoires», observe M. Blanchet, et veut contester jusqu'en Cour supérieure la citation à comparaître que lui a transmise le DGE.

Dans l'entrevue diffusée hier par l'équipe d'Enquête, l'ancien ministre évoque avec moult détails avoir été témoin de transactions, louches selon lui, entre un entrepreneur et un permanent du PLQ à Québec. L'un de ces échanges est survenu dans un endroit public, l'autre à la permanence du PLQ à Québec.

«Les échanges d'argent auxquels j'ai assisté, de façon très fortuite d'ailleurs, ont eu lieu entre un permanent du parti et quelqu'un considéré comme un collecteur important du parti»,a soutenu M. Bellemare, précisant par la suite qu'il s'agissait d'un entrepreneur en construction. «Les deux hommes s'échangeaient beaucoup d'argent comptant, des chèques et des listes de noms.» Clairement pour ne pas faire l'objet de poursuites en diffamation, l'avocat de Québec a refusé d'identifier l'entrepreneur en cause, ou même le permanent du PLQ au centre de ces échanges.

Réaction virulente hier soir de la vice-première ministre Nathalie Normandeau, qui venait de s'entretenir au téléphone avec M. Charest. «Il faut s'interroger sur l'agenda de Me Bellemare», a-t-elle dit d'entrée de jeu. Son ancien collègue ministre a fait «des allégations qui sont sérieuses, qui sont importantes. Or toutes ces allégations sont fausses», a-t-elle soutenu.

Comme toutes les contributions financières aux partis politiques doivent être comptabilisées et enregistrées par l'agent officiel du parti, l'apparition de liquide dans les organisations politiques pose des problèmes. Pour Marcel Blanchet toutefois, l'apparition d'argent liquide n'est pas automatiquement suspecte. Jusqu'à 200$ les contributions financières peuvent être faites en argent comptant, explique-t-il - le DGE propose de ramener ce seuil à 20$.

Refusant d'être identifié, un organisateur libéral voyait les choses du même oeil: «De l'argent comptant, des chèques et une liste de noms... C'est tout à fait normal de retrouver ça à un cocktail de financement», résume-t-on.

Charest informé

L'ex-ministre de la Justice dit avoir saisi directement Jean Charest de cette situation problématique pour constater que le premier ministre était déjà au courant.

«Je me suis plaint au premier ministre, je lui ai dit que c'était irrégulier à mon avis... que c'était dangereux. Voilà. Je peux vous dire qu'il était très bien informé», a poursuivi l'ancien ministre.

Il y a un mois, M. Bellemare avait soutenu avoir soulevé des questions graves touchant l'intégrité avec le premier ministre Charest, ce que ce dernier avait rigoureusement nié à l'Assemblée nationale.

Hier, Mme Normandeau indiquait que M. Charest lui avait de nouveau assuré que la conversation évoquée par Me Bellemare n'avait jamais eu lieu.

Nominations

Dans l'entrevue, Me Bellemare ajoute même que le bailleur de fonds dont il a parlé avait exercé des pressions pour obtenir la nomination de sympathisants libéraux à des postes de juge. «Les gens qui étaient des collecteurs influents et significatifs du parti avaient leur mot à dire sur plusieurs nominations et ne se gênaient pas pour solliciter des nominations de ma part, en 2003 et 2004, tenant compte du fait qu'il fallait placer notre monde, comme on dit.»

Me Bellemare se souvient que ce collecteur de fonds avait sollicité et obtenu des nominations de magistrat pour trois personnes que le ministre de la Justice a nommées comme juges à la Cour du Québec.

Hier soir, des libéraux proches de Jean Charest à l'époque ont souligné qu'un seul individu, Marc Bibeau, dont la famille possède une entreprise de béton et plusieurs centres commerciaux, pouvait prétendre au titre de «responsable du financement» au PLQ. Il a encore une grande proximité avec le premier ministre Charest, mais cette source dit ne l'avoir jamais vu intervenir pour faire nommer des juges.

En revanche, à l'époque Marc Bellemare passait pour un politicien un peu «paranoïaque» qui voulait faire congédier la plupart de ses sous-ministres, associés au Parti québécois selon lui.

Pour Marc Bellemare, ces trois juges ont été nommés «parce que c'était une commande des grands collecteurs du parti... le premier ministre était d'accord avec ça. Je m'en suis plaint au premier ministre à l'automne 2003, comme au printemps 2004, mais c'était semble-t-il la façon de faire. J'ai demandé au premier ministre si c'était le ministre de la Justice qui nommait les juges ou si c'était tel ou tel, untel qui avait collecté des fonds pour le parti», selon Me Bellemare.

Ces financiers «avaient une influence sur (le menu) législatif du gouvernement», constate Me Bellemare, qui avait peine alors à faire avancer ses projets de loi sur l'indépendance des tribunaux administratifs.

Pour Mme Normandeau, «on a un système qui fait que la nomination des juges est protégée de toute interférence politique». Les magistrats sont choisis par un comité dirigé par le juge en chef de la Cour du Québec, rappelle-t-elle.

Elle proteste aussi quand Marc Bellemare laisse entendre que les bailleurs de fonds ont une influence sur le progrès d'un projet de loi. Si son projet sur l'abolition du no-fault n'a pas été adopté en 2003, c'est qu'il n'était pas parvenu à convaincre ses collègues du Conseil des ministres de son bien-fondé, soutient-elle.