Jean Charest a déjà touché de très près aux nominations de juges comme premier ministre, mais aussi comme ministre conservateur à Ottawa.

Au début 2005, le Conseil des ministres a nommé Me Claude Leblond, professeur de droit criminel à l'Université de Sherbrooke et à l'école du Barreau de la même ville. Or, c'est un de ses anciens stagiaires qui a passé le coup de fil à l'avocat de Sherbrooke, le premier ministre Jean Charest lui-même. «Cet appel privilégié a quelque peu dérogé au protocole habituel qui exige que ce soit le ministre de la Justice qui informe les futurs juges de cette prestigieuse promotion», relevait La Tribune à l'époque.

 

À l'Assemblée nationale, cet accroc avait fait bondir Stéphane Bédard, alors critique de son parti en matière de justice. «Ce coup de fil contrevient à la procédure de nomination... l'objectif étant de mettre à l'abri ce processus de toute coloration politique», avait relevé Me Bédard en janvier 2005. Le ministre de la Justice, Yvon Marcoux, s'était contenté de dire que le processus de sélection et de nomination se faisait «conformément à la loi».

Dans la biographie de Jean Charest écrite par André Pratte, éditorialiste en chef à La Presse, Me Léo Daigle, organisateur de la première heure de Jean Charest, raconte que c'est le député conservateur de Sherbrooke qui était venu le rencontrer pour qu'il pose sa candidature à la Cour supérieure - une nomination fédérale. «C'est lui (Jean Charest) qui est venu me voir et m'a dit «Cout'donc, t'es le seul qui m'a pas demandé d'être nommé juge»», racontait Me Daigle au sujet de sa nomination, annoncée le 11 juillet 1991.

Un autre juge nommé le même jour, Paul-Marcel Bellavance, avait été le président de l'Association conservatrice de Sherbrooke. «Il ne faut pas empêcher quelqu'un qui a fait partie d'une organisation politique d'accéder à une fonction quelconque», s'était contenté de dire le juge Bellavance.

Invité à commenter l'affaire, le premier ministre Charest a passé sous silence ses échanges avec le juge Daigle. Mais son porte-parole Hugo D'Amour a rappelé que, comme ministre de la région, M. Charest avait proposé des avocats de l'Estrie à la magistrature. Mes Daigle et Bellavance, mais aussi Me Rénald Fréchette, qui avait été ministre péquiste de la Justice jusqu'en 1985.

Étanchéité douteuse

Sous le couvert de l'anonymat, d'anciens apparatchiks politiques démystifient aussi l'étanchéité du processus de nomination des magistrats dans les officines.

Un proche collaborateur de Robert Bourassa a expliqué par exemple que le sous-ministre de la Justice, Me Jacques Chamberland, informait à l'avance le premier fonctionnaire, Benoît Morin, des nominations à la magistrature. Le ministre Gil Rémillard avait d'ailleurs nommé un de ses organisateurs, Me Daniel Lavoie, à la Cour du Québec en 1993. Me Morin fut d'ailleurs nommé à la Cour supérieure au moment de la démission de son patron, Robert Bourassa, fin 1993.

Dans le cas de la regrettée Lorraine Laporte, épouse de Bernard Landry, des témoins se souviennent parfaitement d'un échange, la veille de la réunion du Conseil des ministres, entre le sous-ministre à la Justice, Michel Bouchard, et le secrétaire général du gouvernement, Louis Bernard. «Je ne m'en souviens pas, mais ce n'est pas impossible», a dit hier Me Bernard. En outre, cette nomination potentiellement explosive avait été discutée entre les chefs de cabinet du ministre Paul Bégin, Me Charles G. Grenier, et de Jacques Parizeau, Jean Royer. Me Grenier allait aussi être nommé à la Cour du Québec, par le libéral Jacques Dupuis.

Son prédécesseur, Marc Bellemare, s'était obstinément refusé à nommer un adversaire politique à la magistrature. Mais le premier ministre Charest s'était engagé à nommer cette grosse pointure; Me Grenier a été pendant des années le secrétaire du comité de législation du gouvernement, la plaque tournante de tous les projets de loi.

Joints hier, MM. Landry et Bégin ont maintenu leur version: le premier ministre Parizeau a appris séance tenante la nomination de Me Laporte, qui allait soulever les critiques acerbes du député libéral Thomas Mulcair.