La décision de Tony Tomassi d'utiliser une carte de crédit appartenant à une firme privée ne passe pas. Pour le jurisconsulte de l'Assemblée nationale, cette situation compromet l'indépendance que doit préserver un élu, en particulier vis-à-vis d'une entreprise qui fait affaire avec l'État.

Juge en chef à la retraite, Claude Bisson conseille depuis des années les députés qui font face à des questions d'éthique. Un élu peut-il accepter un départ de golf offert par une entreprise ? Une toile envoyée par un commettant est-elle un cadeau trop généreux ? Autant de situations qui méritent réflexion.

Le juge retraité avoue être surpris de la multiplication des problèmes d'éthique chez les élus : «Peut-être que je vieillis, mais il me semble qu'avant on était plus respectueux de la bonne conduite.» Les médias sont plus alertes que dans le passé, et la Loi sur l'accès à l'information pèse lourd. On voit ce que la population pense des gens publics, dit-il, relevant le sondage publié par La Presse, qui indiquait hier que 9 Québécois sur 10 sont «découragés» par la classe politique.

Les «avantages» que reçoivent les députés peuvent prendre bien des formes. Les «cadeaux» sont permis, mais ils doivent rester modestes. Ces règles touchent les ministres et les adjoints parlementaires. Les députés ne sont pas encadrés.

«Si un député me disait : "J'ai des vacances à prendre et le distributeur de Coca-Cola m'offre d'utiliser une carte de crédit", c'est une chose : Coca-Cola n'a pas de liens avec le gouvernement. Si c'était CGI, cela changerait le portrait : cette entreprise a des relations d'affaires importantes avec le gouvernement», illustre le juge Bisson.

Liens avec le gouvernement

Pour lui, la question fondamentale est l'importance des relations d'affaires entre une société et le gouvernement. Le fait que BCIA, l'entreprise qui a payé l'essence du député Tomassi, ait de nombreux et importants contrats avec le gouvernement «est un aspect important», résume le juge Bisson. Mais même s'il ne veut pas se prononcer sur l'affaire Tomassi en particulier, le juge ne laisse aucune ambiguïté : le député de LaFontaine n'avait pas le droit d'accepter, pour payer son essence, une carte de crédit offerte par une entreprise qui a des contrats avec le gouvernement.

En outre, les députés ont droit à 52 voyages payés chaque année entre leur circonscription et le Parlement. Ils sont remboursés contre présentation de pièces justificatives. Le choix du moyen de transport est laissé à leur discrétion - certains, par exemple, prennent l'avion entre Montréal et Québec.

Or, tout indique que M. Tomassi s'est fait rembourser par l'Assemblée nationale les dépenses qu'il a payées avec la carte Petro-Canada de BCIA.

Si un élu va à Québec dans la voiture d'un collègue et demande tout de même à être remboursé, «ce n'est pas très bien», observe le juge Bisson.

Dans l'Ouest, un ministre provincial avait le droit de voyager en première classe. Il échangeait ses billets pour d'autres en classe économique et empochait la différence qui lui était remboursée. «Ce n'est pas chic», dit, ironique, le juge Bisson, qui espère que le projet de loi 48 créant le poste de commissaire à l'éthique sera adopté rapidement. Ce commissaire aura le droit d'instituer une enquête, à la différence du jurisconsulte, qui doit attendre qu'on lui soumette des cas.

Garderies heureuses

Pour Sylvain Lévesque, président de l'Association des garderies privées du Québec (350 garderies), le départ de Tony Tomassi est une bonne nouvelle. «C'est ce qu'on demandait depuis trois semaines. M. Tomassi n'avait plus de crédibilité et on avait fait savoir qu'on ne voulait pas rencontrer un ministre qui a causé autant de dommages au réseau», a-t-il rappelé. Selon lui, les allégations de favoritisme dans l'attribution des places en garderie ont jeté le discrédit sur toute l'industrie.

«Changer de ministre ne vient pas régler les problèmes profonds auxquels fait face le réseau actuellement», dit-il toutefois.

Québec devra «voir en profondeur ce qui se passe au ministère de la Famille», et le Vérificateur général ferait mieux d'y mettre le nez. Tony Tomassi avait annoncé un projet de loi «mur à mur» qui ne fait pas l'affaire des garderies privées. «C'est lui qui a donné mauvaise réputation au réseau... On a travaillé à améliorer les choses pendant 15 ans, il a tout bousillé en un an. Maintenant, lorsqu'on se présente comme propriétaire de garderie, les gens nous considèrent comme des mafieux!» regrette-t-il.