Malgré les tentatives du gouvernement fédéral de convaincre qu'il ne rouvrira pas le débat sur le droit à l'avortement, l'Assemblée nationale s'est unie mercredi pour interpeller le premier ministre Stephen Harper afin qu'il mette fin à l'«ambiguïté» sur cette question.

Si l'avortement a été légalisé au pays il y a de cela plus de 20 ans, certaines positions du gouvernement conservateur de M. Harper ont soulevé l'inquiétude dernièrement.

D'abord, les conservateurs ont choisi d'exclure le financement de l'avortement de l'initiative qu'ils mettront de l'avant comme pays hôte du Sommet du G8, en juin, afin d'améliorer la santé maternelle et infantile dans les pays en voie de développement.

Cette décision a été fortement dénoncée par des groupes de défense des droits des femmes ainsi que par l'opposition, aux Communes, qui a accusé le gouvernement d'agir en vertu de sa «position idéologique» sur le sujet.

Puis, la semaine dernière, de passage sur la colline parlementaire pour une manifestation pro-vie, le cardinal Marc Ouellet a félicité le gouvernement conservateur d'avoir «eu le courage de résister aux pressions qui voulaient faire financer des programmes d'avortement dans les pays du tiers-monde» et il a souhaité la reprise du débat sur la criminalisation de cette pratique.

Et le primat de l'Église catholique a semé la controverse, quelques jours plus tard, en affirmant que le recours à l'avortement était injustifié même en cas de viol. Ces propos ont été vivement critiqués par la classe politique, à Québec comme à Ottawa.

Inquiets du retour soudain de la question de l'avortement sur la place publique, les députés de l'Assemblée nationale ont donc adopté à l'unanimité, mercredi, une motion réaffirmant le droit des femmes à l'interruption de grossesse.

La motion, appuyée par les 109 parlementaires qui siégeaient mercredi, souligne également que le fédéral ne doit pas retirer de subventions aux groupes de femmes parce qu'ils soutiennent le droit à l'avortement.

Or, tout cela est un débat qui n'a pas lieu d'être, a-t-on rétorqué au bureau du premier ministre Harper, à Ottawa, puisque la position du gouvernement n'a pas changé.

«Le premier ministre a été très clair à ce sujet et il n'existe aucune ambiguïté. Nous ne souhaitons par rouvrir le débat sur cet enjeu», a fait valoir par courriel un porte-parole de M. Harper, Andrew MacDougall.

Certains députés conservateurs pro-vie se sont cependant dits prêts à défendre leur point de vue, lors du rassemblement contre l'avortement tenu la semaine dernière et au cours duquel le cardinal Ouellet s'est prononcé. Et l'un d'entre eux, Rod Bruinooge, a déposé un projet de loi d'initiative parlementaire visant à rendre criminel l'acte de convaincre une femme d'avorter, en exerçant sur elle des pressions physiques ou psychologiques.

Le gouvernement fédéral tente cependant de prendre ses distances de ces membres de son caucus. Car ce projet de loi «n'est pas un projet de loi du gouvernement», a plaidé M. MacDougall.

La motion votée à Québec par le Parti libéral, le Parti québécois, l'Action démocratique et Québec solidaire sera transmise d'ici quelques jours au Sénat et à la Chambre des communes, à Ottawa.

Le texte a toutefois peu de poids réel, puisque le gouvernement fédéral n'a aucune obligation d'en tenir compte. Si la motion de Québec fait part aux parlementaires d'Ottawa de leur inquiétude dans le dossier de l'avortement, le gouvernement de Stephen Harper n'est pas tenu d'y faire suite.

Avisé du libellé par le président de l'Assemblée nationale, celui de la Chambre des communes, Peter Milliken, pourrait néanmoins en faire part à un ministre fédéral, s'il songe que ce soit pertinent, a-t-on expliqué au bureau de M. Milliken.

La motion de Québec pourrait également être déposée par un parti d'opposition aux Communes, comme le Bloc québécois ou le Nouveau Parti démocratique (NPD). La porte-parole du NPD en matière de condition féminine, Irene Mathyssen, a expliqué, en entrevue téléphonique, qu'il s'agissait d'une «très, très grande possibilité».

Quoi qu'il en soit, le sujet rebondira sûrement à la période des questions aux Communes, après la relâche parlementaire qui se déroule cette semaine, a dit la porte-parole du Bloc sur le sujet.

«Je ne pense pas que (la motion) est inutile. Parce que toutes les fois que le gouvernement du Québec se prononce pour réitérer la position des Québécois et Québécoises, je pense que c'est important de laisser savoir au reste du Canada que, nous, on n'a pas changé en ce qui tient compte de nos valeurs», a plaidé Nicole Demers.

Le cardinal Ouellet avait d'ailleurs fait valoir, lors de son discours devant le Parlement, qu'il faudrait mettre de l'avant «un effort particulier pour refaire une culture de la vie» au Québec.