L'Action démocratique du Québec (ADQ) vit actuellement une traversée du désert. Une autre. Mais dans la mouvance adéquiste, bien des sympathisants craignent que ce soit la dernière.

Les chiffres sont têtus. Hier, le rapport annuel du Directeur général des élections sur les finances des partis politiques est tombé comme une autre mauvaise nouvelle pour le parti de Gérard Deltell. L'ADQ, qui avait récolté plus de 1 million de dollars en 2008, n'a recueilli que 280 000$ en 2009. Le parti a une dette de 640 000$. À la mi-mai, la banque a exigé le remboursement d'un prêt de 27 000$. Si on se fie aux recettes des «adhésions», l'ADQ compte un peu moins de 5000 membres.

 

Joints au cours des derniers jours, des adéquistes en vue ont avoué être plutôt inquiets des chances de survie du parti créé par Mario Dumont en 1994.

On ne peut pas dire que le chef, Gérard Deltell, porte des lunettes roses, toutefois. À la tête du parti depuis sept mois, après le règne aussi bref que houleux de Gilles Taillon, Deltell ne cache pas que l'ADQ revient de loin. «On était un parti complètement disloqué. Les derniers mots de notre chef (Gilles Taillon) avaient été: «J'appelle la police!» On partait de loin!» a lancé M. Deltell. Après une telle épreuve, «un parti ne se relève pas du jour au lendemain», souligne-t-il. Jusqu'ici, il est surtout content d'avoir pu marcher sur la corde raide sans tomber: «Les derniers mois ont été les plus périlleux. Une erreur majeure et c'était fini», résume le député de Chauveau.

Dans les intentions de vote, l'ADQ est revenu aux chiffres habituels, ceux d'avant que Mario Dumont ne parvienne à embraser l'opinion avec les accommodements raisonnables, aux élections du printemps 2007. Les 13% que récolte l'ADQ dans l'ensemble du Québec cachent une réalité: en dehors de la banlieue de Québec et de la Beauce, le parti est totalement absent de la carte. Seule note encourageante, selon un récent sondage Léger Marketing, M. Deltell a augmenté de 7% sa cote «d'opinion favorable» depuis décembre 2009. Par ailleurs, 14% des gens ont de lui une mauvaise impression. Plus déterminant: 39% des gens ne savent pas qui il est.

Sylvie Roy, députée de Lotbinière, qui a déjà traversé le désert avec Mario Dumont entre 2003 et 2007, juge pourtant que «c'est plus facile qu'à l'époque». L'ADQ peut compter sur d'anciens députés qui sont toujours intéressés au parti et peut aussi faire passer ses idées davantage. «On a des relais médiatiques comme Marie Grégoire, Éric Duhaime et même Mario Dumont», souligne Mme Roy.

Inquiet pour l'avenir

Éric Caire, député indépendant de La Peltrie, qui a claqué la porte de l'ADQ après que le parti lui eut préféré Gilles Taillon comme chef, estime que l'étiquette «ADQ» en a pris pour son grade. Il y a quelques semaines, 50 000 contribuables furieux sont venus manifester devant le parlement, et l'ADQ n'a pu tirer profit de ce mécontentement, relève-t-il. Le parti de centre droit devrait se fédérer à un autre groupe pour continuer. «Dans sa forme actuelle, l'ADQ aura beaucoup de difficulté à survivre», estime M. Caire. Son retour à l'ADQ est hautement improbable, même si celui d'Alain Sanscartier à titre de chef de cabinet de Gérard Deltell a rétabli les canaux de communication.

«Je suis inquiet pour l'avenir de l'ADQ. Je doute qu'elle soit capable de fédérer le mécontentement qu'on voit envers le gouvernement», confie de son côté Sébastien Proulx, ancien député adéquiste de Trois-Rivières. L'avocat ne touche plus à la politique... pour l'instant. Mais après les déconfitures à répétition, «l'éternel recommencement, mettre un nouveau groupe de l'avant pour de nouvelles idées... La question se pose: ne faudrait-il pas tout simplement s'investir dans ce qui est existant et porter ces idées? Un gars se tanne de faire partie d'un gros lobby!» laisse tomber M. Proulx, ancien leader parlementaire de sa formation. «Il faut que le parti où on milite soit susceptible d'être au pouvoir. On ne peut pas passer sa vie à regarder la course et à se dire: j'aimerais être là!» Il est encore furieux que les dirigeants du parti aient décidé de presser le pas et d'organiser une course à la direction du parti dès l'automne 2009. Après la débandade de 2008 - le parti était passé de 40 à 6 députés -, «on venait de subir un AVC, et on est reparti pour courir le marathon!»

«Ça fait pitié!»

Johanne Marcotte, qui a longtemps fait partie des cerveaux du parti de Mario Dumont, a claqué la porte quand Gilles Taillon a été choisi comme chef. «Je suis partie quand j'ai vu que la base militante de l'ADQ n'existait pas. Moins de 3000 personnes avaient voté... ça fait pitié!» lance-t-elle. Selon elle, Gérard Deltell «est plein de bonne volonté», mais «le branding de l'ADQ a été souillé».

L'ADQ a-t-il un avenir? «Le parti représente toujours un courant politique, mais on ne va nulle part avec ça. Les gens qui sont en poste en sont conscients», observe l'ancien bras droit de Mario Dumont, Pierre Brien. «Que l'ADQ renaisse de ses cendres encore une fois, c'est un long shot, je ne sens pas cela», dit l'ancien député bloquiste devenu candidat puis conseiller politique de l'ADQ.

«Personne ne bloque l'espace de l'ADQ. Le mécontentement à l'endroit du gouvernement va continuer», prédit-il. «Au lendemain de l'élection, je pensais qu'on fermerait définitivement les livres. Actuellement l'ADQ peut défendre un courant d'opinion, mais pour continuer il va falloir un deal avec quelque chose d'autre», résume Pierre Brien.