Faute d'acheteur, Québec pourrait invoquer la sécurité énergétique de la province pour empêcher la fermeture ou la reconversion de la raffinerie Shell de Montréal-Est. C'est du moins l'une des dernières cartes qu'a sorties mardi le syndicat des quelque 800 employés de la raffinerie pour préserver ce qui reste de l'industrie pétrochimique à Montréal.

L'avenir de cette industrie, florissante au début des années 80 alors qu'on comptait six raffineries, est aujourd'hui «clairement menacé», estime Michael Fortier, président du comité mis sur pied l'hiver dernier pour sauver la raffinerie.

À Québec, on s'est fait rassurant: pas question d'autoriser la fermeture de la raffinerie tant que Shell n'aura pas démontré que les approvisionnements en pétrole ne sont pas en péril.

Au lendemain de l'annonce de l'échec des négociations entre Shell et le dernier acheteur intéressé, le syndicat demande à la ministre des Ressources naturelles, Nathalie Normandeau, d'appliquer la Loi sur les produits pétroliers. Cette loi permet à la ministre d'empêcher la démolition, même partielle, d'un établissement de fabrication de produits pétroliers.

Plus important, elle a comme objectif «d'assurer le maintien et la sécurité des approvisionnements en produits pétroliers», qui sont de toute évidence menacés, soutient Jean-Claude Rocheleau, président du syndicat des employés de la raffinerie. Avec la disparition de la raffinerie Shell, l'établissement voisin, propriété de Suncor (fusionné à Petro-Canada en août 2009), se trouverait isolé et verrait ses coûts augmenter considérablement.

«Il faut craindre l'effet domino avec la fermeture de la raffinerie de Shell, estime M. Rocheleau. Les coûts fixes vont augmenter pour Suncor, qui partageait le transport et les services connexes avec Shell. D'ici une couple d'années, il va y avoir une réévaluation qui va être faite par Suncor. Si eux partent, la pétrochimie quitte le Québec et ça veut dire que la province va s'appauvrir royalement.»

La ministre Normandeau «n'est pas en mesure, à l'heure actuelle, de prendre une décision pour autoriser le démantèlement» de la raffinerie Shell, dit Marie-Claude Boulay, attachée de presse.

Au début de l'été, des fonctionnaires du Ministère ont rencontré des représentants de Shell afin d'éclaircir la situation, précise-t-elle. «Beaucoup de questions ont été posées à Shell; l'entreprise doit fournir l'information. Tant que la ministre ne l'aura pas, elle n'autorisera pas le démantèlement.»

Refaire la vente

Pour l'ex-sénateur et ministre conservateur Michael Fortier, Montréal ne peut se permettre de perdre toute une industrie qui fait vivre des milliers de personnes avec de très bons salaires. «On parle souvent à Montréal de l'aérospatiale, de technologie de l'information, des jeux vidéo, de l'enseignement. Je suis preneur de tout ça, je trouve ça extraordinaire, mais on a au bout de l'île, dans l'Est, la pétrochimie. Il faut y tenir, il faut s'assurer que ce qu'il nous reste demeure.»

L'ingénieur financier au coeur du comité de relance, Claude Delage, s'est dit toujours disposé à travailler avec le syndicat. Malgré l'échec retentissant des négociations entre Shell et l'acheteur qu'avait trouvé le comité, Delek, M. Delage hésite à clore le dossier. «Je ne sais pas, je suis en réflexion. Quand on termine quelque chose, il faut faire le bilan. Or, on est à l'heure des bilans. Après ça, le bilan va nous indiquer le chemin à prendre.»

Selon le président du syndicat, le gouvernement du Québec peut clairement forcer Shell à reprendre tout le processus de vente. «Le gouvernement pourrait dire à Shell: "Écoutez, nous on veut que vous continuiez à exploiter la raffinerie, on ne peut pas se permettre de perdre une raffinerie au Québec, c'est trop risqué pour notre sécurité énergétique"«, estime M. Rocheleau. Il pourrait leur demander de recommencer l'exercice de vente et de maintenir la raffinerie ouverte en attendant. Ces possibilités sont prévues dans la loi.»

Le syndicaliste se réjouit par ailleurs de l'attitude du gouvernement québécois jusqu'à maintenant, qui «fait bien son travail, surveille et prend le temps de bien regarder les choses». Début juillet, une injonction a ordonné à Shell de garder ses équipements en bonne condition. L'injonction a été reconduite jusqu'au 10 septembre. Shell a déjà annoncé vouloir fermer ses installations à partir de la mi-septembre et mettre la quasi-totalité de ses employés à pied le 30 novembre.