Avec son humour acéré, en trois répliques il déchiquetait son adversaire. Mais de l'autre côté de l'Assemblée nationale, le député malmené pouvait difficilement s'emporter devant un ennemi au sourire si contagieux.

En plus d'une décennie de politique active, Claude Béchard avait formé autour de lui un réseau étroit d'amis, de quasi-disciples qui auraient consenti bien des sacrifices pour aider «Bech», son surnom dans les officines libérales, à atteindre son but.

Claude Béchard faisait partie de la courte liste des élus libéraux qui étaient clairement tentés par une éventuelle course à la succession de Jean Charest.

Véritable bête politique, Claude Béchard était depuis longtemps un des préférés de Jean Charest. Le même humour parfois corrosif, la même joie à ferrailler avec l'adversaire à l'Assemblée nationale, le même goût pour la vie, les soupers avec des proches. Dès 1998, Jean Charest se retrouve probablement beaucoup dans ce jeune député fougueux, tout juste élu. Il le prend sous son aile, un peu comme, bien plus tôt, Brian Mulroney avait adopté son jeune député de Sherbrooke aux Communes.

Comme Mario Dumont, Claude Béchard arrive dans l'orbite du Parti libéral du Québec avec la Commission-Jeunesse, au début des années 90. Très rapidement il se démarque, tout comme Dumont, qui allait devenir son voisin de circonscription. Après l'échec de l'entente de Charlottetown, il devient responsable des dossiers jeunesse au cabinet de Robert Bourassa - il succède à ce poste à Benoît Savard, passé à la permanence libérale. Daniel Johnson gardera avec lui ce collaborateur qui déjà «mangeait» littéralement de la politique.

Quand les libéraux perdent le pouvoir en 1994, il tâte pendant quelques mois les relations publiques, avec Rémi Bujold, mais retourne vite dans le giron politique. Originaire de Saint-Philippe-de-Néri, il saisit l'occasion de se présenter dans son fief, en 1997, quand la libérale France Dionne décide d'aller tenter sa chance avec les libéraux de Jean Chrétien.

À son arrivée d'Ottawa, Jean Charest le remarque rapidement. Béchard sera coprésident avec Liza Frulla d'une course au leadership qui n'aura jamais lieu. L'élection de 1998 lui cause des cauchemars, il a besoin d'un dépouillement judiciaire. Ce sera la dernière fois. Établi à Mont-Carmel, il ne ratera plus, comme ministre, une occasion de défendre ses commettants, il ne sera plus jamais inquiété les soirs de scrutin.

Avec d'autres jeunes loups, les Jean-Marc Fournier et Thomas Mulcair, Béchard fera vite partie du premier trio d'attaquants pour les libéraux à l'Assemblée nationale. Arrivé au pouvoir, Jean Charest le nomme d'abord à l'Emploi et à la Solidarité sociale. Il rompt vite des lances avec le gouvernement fédéral, sur le financement du congé parental notamment, une guerre qu'il remportera politiquement. Avant de quitter le Ministère, il déposera le projet de loi antipauvreté, un engagement électoral, qui remporte l'adhésion des groupes de défense des personnes défavorisées.

Détesté puis adulé par les verts

Après sept ans, Claude Béchard aura été le ministre le plus souvent muté - il est de toutes les missions spéciales, souvent délicates que lui demande Jean Charest. Mais vite il a la réputation de travailler en vase clos, sans trop de contacts avec ses hauts fonctionnaires. Après deux ans à l'Emploi, on le retrouve au Développement économique où son passage laisse des traces. Il parraine une politique de développement économique qui laisse les investisseurs sur leur faim. Obsédé par sa circonscription, il intervient dans la décision de Québec d'approuver l'appel d'offres de la STM pour le renouvellement des rames du métro de Montréal. On favorise clairement Bombardier qui promet de consolider les emplois de La Pocatière, le verdict est contesté par Alstom. Même plus tard, la coalition des deux firmes ne parvient pas à éliminer la concurrence internationale. Quatre ans plus tard, ce contrat n'est toujours pas alloué, et ce feuilleton fait bien mal paraître le gouvernement Charest.

En février 2006, Jean Charest envoie Claude Béchard à l'Environnement. Habituellement, c'est le ministère rêvé pour un politicien jeune qui veut donner une image de modernité. Mais cette fois, la commande sera bien différente - il aura à piloter le projet de loi controversé qui doit permettre la vente du parc du Mont-Orford à un entrepreneur privé, proche des libéraux de l'Estrie. Pendant plusieurs mois, Claude Béchard servira de paratonnerre, toujours loyal et patient, aux attaques des environnementalistes.

Ces derniers changeront vite d'opinion. Claude Béchard devient rapidement un héros pour les verts avec la création d'un fonds pour contrer les changements climatiques. La tâche n'est pas facile, pomper un cent de plus en taxes pour chaque litre d'essence afin de financer les transports en commun et les énergies alternatives. Son plan est louangé par David Suzuki, environnementaliste réputé, et Arnold Schwarzenegger, gouverneur de Californie. Béchard est pardonné pour Orford, projet qui sera balayé sous le tapis par Line Beauchamp dès sa nomination à ce ministère.

Cette même année, il parvient à se rendre au Kenya pour assister à une importante conférence internationale sur l'environnement dans la foulée du protocole de Kyoto. Sans ménagement, il s'en prend publiquement à la position du gouvernement Harper - une position qui trouvera écho dans plusieurs délégations. Rona Ambrose, son vis-à-vis fédéral, sera mutée peu de temps après. Stephen Harper s'en souviendra longtemps. Quelques mois plus tard, le premier ministre canadien se rendra à Rivière-du-Loup pour appuyer Mario Dumont, ignorant volontairement son voisin de circonscription ulcéré, Claude Béchard.

Rivalités régionales

Après les élections de 2007 où les libéraux deviendront minoritaires, Claude Béchard passe aux Ressources naturelles. Il veut forcer les pétrolières à expliquer clairement les augmentations qu'elles imposent aux automobilistes, mais l'opposition lui tient la dragée haute. Il sera forcé de battre en retraite. À la fin de son mandat aux Ressources naturelles, il renverra sans ménagement Hydro-Québec à sa table de travail, une première; la société d'État ne tenait pas suffisamment compte de la volonté du gouvernement d'exporter davantage d'électricité aux États-Unis.

Il tient mordicus à conserver ce ministère que lorgne depuis longtemps Nathalie Normandeau, la seule qui lui fait ombrage au Conseil des ministres. La rivalité est naturelle entre une Gaspésienne et un fils du Bas-du-Fleuve. Au surplus, Normandeau aussi a des velléités de leadership et les deux se surveillent constamment.

C'est à ce moment que des frictions surviennent. Les disciples de Claude Béchard s'enthousiasment et semblent préparer sa candidature à la direction du PLQ. Il est rappelé à l'ordre par le cabinet de Jean Charest. Dure humiliation, cet été-là, le congrès des jeunes libéraux à La Pocatière se terminera sans un mot du ministre régional.

Normandeau succède à Béchard aux Ressources naturelles. C'est de bonne guerre, elle refait d'un bout à l'autre la politique forestière que Béchard venait de déposer à l'Assemblée nationale.

En 2008, Claude Béchard prend tout à coup nettement ses distances de la vie politique. D'abord une bonne connaissance, son adjointe Nancy Michaud, est victime d'un meurtre sordide dans sa maison de Rivière-Ouelle. Mais le pire est à venir. À l'automne, il se sait atteint d'un cancer sans merci, au pancréas. Opéré, il reste plusieurs semaines sur le carreau avant de reprendre son souffle pour se lancer dans la campagne électorale de 2008.

Réélu, il passe à l'Agriculture et voit Nathalie Normandeau lui succéder aux Ressources naturelles. Il propose des politiques pour favoriser les produits locaux sur les tablettes des supermarchés. Aux Relations intergouvernementales canadiennes, il attaque Ottawa sur le bilinguisme des juges de la Cour suprême, le poids politique du Québec aux Communes et même sur l'abandon partiel du recensement national.

En juin, il est frappeur désigné pour attaquer le Parti québécois, qui tient ses assises. Il y va de quelques traits d'humour, mais la fougue n'y est plus. Il sait que son ennemi l'habite de nouveau et qu'il doit livrer son dernier combat.