Le premier ministre Jean Charest a trempé sa plume dans le vitriol pour demander à Maclean's de s'excuser d'avoir dépeint le Québec comme «la province la plus corrompue du Canada». Mais le magazine persiste et signe.

Dans une lettre de deux pages envoyée dimanche, Jean Charest se permet de donner une leçon de journalisme à l'éditeur Mark Stevenson. «Visiblement en quête de sensationnalisme, vous avez publié un article qui ne répond à aucun des standards habituels du journalisme», écrit le premier ministre. «Nous sommes devant un procédé qui vise à faire la démonstration d'une thèse simpliste et odieuse selon laquelle les Québécois seraient génétiquement incapables d'agir avec intégrité.»

Selon M.Charest, Maclean's s'est «discrédité» avec son dernier numéro. Le magazine a fait un «amalgame d'informations erronées, d'allégations non fondées prises au hasard de l'histoire». «Avec une telle dérive journalistique, une telle ignorance, n'importe quelle société pourrait être dépeinte sous un jour défavorable», ajoute-t-il.

«Inacceptable»

En conséquence, «j'espère que vous aurez l'élégance de reconnaître cette erreur et de vous excuser auprès des Québécois».

Dans sa lettre, M.Charest souligne que «le débat fondamental» qui a cours au Québec depuis 40 ans sur «son appartenance au Canada» n'est pas une «tare» - comme le laisse entendre selon lui Maclean's - mais plutôt «un signe de notre maturité démocratique et de nos valeurs». Il prend même la défense du mouvement souverainiste. «Je connais peu d'endroits au monde où un enjeu aussi fondamental a pris la forme d'un courant politique légitime, démocratique et pacifique», affirme-t-il.

Lors d'un bref point de presse, Jean Charest s'est défendu de jouer la carte nationaliste avec cette sortie contre Maclean's. «Je ne joue aucun jeu. Je suis premier ministre du Québec. Je parle au nom de tous les Québécois» pour dire que cet article, «ce ramassis de toutes sortes de choses», est «inacceptable». Le premier ministre a affirmé qu'il ne s'attend pas à ce que Maclean's présente des excuses. Il a vu juste.

Dans un texte publié sur son site internet hier, Maclean's ne s'excuse pas. Bien au contraire. Le magazine souligne que M.Charest a envoyé sa lettre alors qu'il «venait tout juste de témoigner devant une commission d'enquête sur la corruption», sur le processus de nomination des juges.

«Dans sa lettre, le premier ministre Charest prétend que nous avons décrit les Québécois comme «génétiquement incapables d'agir avec intégrité.» Comme toutes les accusations de «Québec bashing», celle-ci n'est pas seulement fausse, elle est aussi mesquine, dans la mesure où l'ensemble des citoyens se trouve ainsi mêlé aux agissements des politiciens et de leurs petits copains. La population du Québec a déjà bien assez de devoir tolérer la corruption au sein des charges publiques - elle n'a pas à en être éclaboussée par la même occasion.»

«Corruption systémique»

Maclean's s'emploie à justifier sa manchette. «Il est vrai que nous ne disposons pas de données statistiques démontrant sans l'ombre d'un doute que le Québec constitue un cas isolé au Canada. Mais cela ne veut pas dire que nous devons suspendre tout jugement. Les preuves sont abondantes: les scandales succèdent aux scandales à tous les ordres de gouvernement dans la province. Chaque fois, ce n'est pas seulement à un ou deux mauvais éléments que l'on a affaire, mais bien à une corruption systémique.»

Et si la corruption politique existe «dans chaque province et dans chaque parti», «chez les anglos» comme «chez les fédéralistes», «seul le Québec s'est trouvé aux prises pendant cette période avec une aussi riche collection de situation embarrassantes».

Le texte est coiffé d'un titre et d'un sous-titre qui écorchent au passage le gouvernement Charest. «Les Québécois méritent mieux que ça», peut-on lire. «Les électeurs québécois ont prouvé qu'ils supportent mal les politiciens corrompus. Cela permet d'espérer.»