Le premier ministre Jean Charest s'est fait accompagner par un riche entrepreneur de l'industrie de la construction à une réception en l'honneur du président américain George Bush, en 2004, a soutenu hier le député Amir Khadir à l'Assemblée nationale.

«Cet homme est Marc Bibeau, a dit le député de Québec solidaire. Son entreprise, Schokbéton, est le plus grand fournisseur de béton du secteur de la construction. Or, depuis 2003, M. Bibeau exerce, à l'abri des regards, une influence directe sur le premier ministre qui déplaît à plusieurs libéraux.»

Le 30 novembre 2004, ministres et dignitaires politiques canadiens assistaient à une réception en l'honneur de George W. Bush. M. Charest était assis à deux tables de celle du président américain. «Est-il normal qu'on le retrouve, à cette table, en grande familiarité avec nul autre que Marc Bibeau, un vendeur de béton, sans charge officielle? a demandé M. Khadir. Est-ce digne d'une démocratie que ce collecteur de fonds influence des nominations à la tête des sociétés d'État?»

Jean-Marc Fournier, leader du gouvernement et ministre de la Justice, a dit que les questions de M. Khadir étaient basées «sur du vent» et n'avaient pas leur place à l'Assemblée nationale. La question est donc demeurée en suspens: que faisait M. Bibeau aux côtés de M. Charest lors de la visite du président des États-Unis? Joint par La Presse, l'attaché de presse du premier ministre, Hugo D'Amours, a dit qu'il ne connaissait pas la réponse. «Effectivement, M. Bibeau était là, a-t-il dit. Mais ce n'est pas nous qui l'avions invité. C'est le gouvernement fédéral.»

Six autres personnes se trouvaient à la table avec MM. Bibeau et Charest, dont l'ancien ministre fédéral Francis Fox et le ministre fédéral des Transports Jean Lapierre. Lors d'un point de presse, M. Khadir en a rajouté: «Quel est son rôle, ce monsieur qui vient du béton? Quelles sont ses compétences politiques? Pourquoi exerce-t-il une influence dans les nominations au gouvernement?»

Selon M. Khadir, M. Bibeau aurait joué un rôle dans des nominations de présidents de société d'État, peut-être même dans celles de Thierry Vandal comme PDG d'Hydro-Québec, en 2005. «On n'a pas de commentaires à faire sur cette allégation, a dit Guy L'Italien, porte-parole de la société d'État. Le C.V. de M. Vandal témoigne de son expérience et de sa compétence.»

Nous avons laissé des messages à la secrétaire de Marc Bibeau, chez Schokbéton, mais personne ne nous a rappelé. Les relations étroites entre M. Bibeau et M. Charest sont de notoriété publique. Dès 2001, M. Bibeau recevait M. Charest lors d'une «soirée libérale» à sa résidence privée, dans l'ouest de Montréal.

Proche de Charest

M. Bibeau faisait partie du groupe très restreint de personnes que M. Charest avait invitées, à la résidence de son père, pour suivre la soirée électorale à la télévision, le 14 avril 2003. Une photo publiée dans La Tribune de Sherbrooke le montre en compagnie du premier ministre élu, avec une dizaine d'autres personnes, essentiellement des membres de la famille de M. Charest.

Encore dernièrement, M. Charest a confié qu'il connaissait beaucoup mieux Marc Bibeau que d'autres collecteurs de fonds comme Franco Fava et Charles Rondeau, dont il a été question à la commission Bastarache. Pourtant, son nom a été beaucoup moins souvent évoqué à l'Assemblée nationale ou dans les médias.

Le printemps dernier, des libéraux proches de M. Charest soulignaient que seul M. Bibeau pouvait prétendre au titre de «responsable du financement» au PLQ. Sous le sceau de la confidentialité, un ténor libéral disait qu'il avait encore une grande proximité avec M. Charest.

Une source a indiqué à La Presse qu'un membre de l'équipe de M. Charest a déjà conseillé à Liza Frulla de prendre contact avec Marc Bibeau si elle souhaitait être nommée à un poste de responsabilité dans une société d'État. Mme Frulla, ancienne ministre libérale provinciale et ancienne députée libérale fédérale, avait perdu ses élections en 2006 comme candidate pour le Parti libéral du Canada. Elle s'était trouvée temporairement sans emploi. Choquée de se faire dire de contacter M. Bibeau, elle a refusé de faire cette démarche. Jointe hier, elle n'a pas voulu commenter cet incident.

La Presse a joint le Parti libéral du Québec, hier, pour savoir si M. Bibeau occupait toujours des fonctions de collecteur de fonds, mais personne n'a donné suite à notre appel.

M. Bibeau est le président de la société à numéro qui est l'actionnaire majoritaire de Schokbéton et des «centres d'achats Beauward». Schokbéton, qui se spécialise dans la fabrication de poutres de béton, a été créée il y a une quarantaine d'années. La firme a participé à la construction du Stade olympique et de nombreux ouvrages privés et publics, notamment d'un barrage hydro-électrique. Les «centres d'achats Beauward» possèdent plusieurs centres commerciaux, dans lesquels sont installés les points de service d'organismes comme la SAAQ.