Il n'y a pas encore de nouveau parti. Mais François Legault prépare une série de manifestes qui pourraient déboucher sur un mouvement politique. L'objectif: mettre en veilleuse le débat sur la souveraineté pour former une coalition d'indépendantistes et fédéralistes de centre droit. Ils s'inspireront du Manifeste des lucides de 2005, tout en débordant des simples questions économiques pour parler aussi de culture avec une approche nationaliste. Mais peut-on éluder le débat sur la souveraineté? Et reste-t-il de la place sur l'échiquier politique pour un nouveau parti?

En 2009, au lendemain de la Saint-Jean-Baptiste, François Legault quitte le PQ pour se «désintoxiquer de la politique». Le député péquiste s'inquiète pour l'avenir. Un «déclin tranquille» menace le Québec, enlisé dans «la résignation et l'indifférence». Sa solution: équilibrer les finances publiques, augmenter la productivité et créer plus de richesse. Et la souveraineté? Il la juge «encore pertinente» mais «presque impossible». Comme le renouvellement du fédéralisme.

Une année plus tard, il semble encore penser la même chose. L'ex-ministre de l'Industrie, de l'Éducation puis de la Santé veut former une coalition de souverainistes et fédéralistes comme Joseph Facal, Charles Sirois et Normand Legault afin de lancer une série de manifestes. Et peut-être même finalement un parti.

«Il reste de la place sur l'échiquier politique, mais elle serait longue à prendre, juge Jean-Herman Guay, politologue à l'Université de Sherbrooke. Tout nouveau parti a besoin d'une période d'incubation. Il doit traverser l'enfance et l'adolescence, s'enraciner dans les 125 circonscriptions et mobiliser une base de militants. Regardez le PQ. Même avec un leader charismatique comme René Lévesque et avec l'appui des artistes, des intellectuels et du milieu de l'éducation, il lui a fallu huit ans avant de prendre le pouvoir.»

Le politologue a participé à une rencontre chez M. Legault le 11 septembre dernier. Il s'est distancé du groupe à cause de différents idéologiques et de sa carrière universitaire qu'il ne veut pas quitter.

Si un parti se présente aux prochaines élections, M. Guay prédit qu'il pourrait récolter 15% des votes. Soit autant que le pourcentage de votes disponibles pour un parti de gauche comme Québec solidaire, ajoute-t-il. Mais avec les déboires du gouvernement Charest, la cote de popularité de Pauline Marois qui plafonne malgré tout, le vote latent des abstentionnistes de 2008 et le cynisme ambiant, M. Guay concède que l'électorat devient plus volatil et imprévisible.

L'ascension météorite de l'ADQ en 2002, puis en 2007, prouve que la chose est possible. «Oui, un nouveau parti pourrait gagner les prochaines élections, dit-il. Mais ce serait fort peu probable.»

En mai dernier, Joseph Facal, qui participe à la réflexion entamée par François Legault, tenait des propos similaires. «Impossible, un nouveau parti? Peut-être pas, mais extraordinairement difficile à court terme. Au fond, la réponse est entre les mains des deux partis traditionnels. S'ils ne trouvent pas les moyens de ramener à eux ces centaines de milliers d'électeurs qui ont décroché par lassitude et frustration, la question continuera à se poser. Et avec de plus en plus de force.»

Question qui paralyse?

La question nationale a toujours structuré la politique québécoise, rappelle Éric Bédard, historien à TELUQ/UQAM. «Elle force à se positionner d'abord sur l'axe souverainiste-fédéraliste. Le PQ et le PLQ sont donc des coalitions de gens de gauche et de droite. Bien sûr, les libéraux sont un peu plus à droite que les péquistes. Mais un social-démocrate comme Thomas Mulcair a quand même été ministre libéral avant de passer au NPD. Et la Loi sur le déficit zéro vient du PQ de Lucien Bouchard.»

Les chefs des deux vieux partis essaient donc souvent «de ménager la chèvre et le chou», poursuit l'historien. «Cela nous fait parfois éluder des débats vitaux, comme le poids de la dette ou le virage vert. Mais il y a aussi du bon. On garde en tête l'impasse constitutionnelle et la question nationale. Et comme cette question m'importe beaucoup, je pense que le prix en vaut la peine.»

À l'image de M. Bédard, Frédéric Boily, politologue à l'Université d'Alberta, constate que cette pression centriste a diminué. «Depuis le dernier référendum, l'axe gauche-droite revient dans les débats», estime ce spécialiste de la droite et auteur de Mario Dumont et l'ADQ: entre populisme et démocratie.

La preuve, selon M. Bédard et lui: la «réingénierie» de l'État, cette réorganisation défendue par le premier gouvernement Charest, la montée de l'ADQ et l'arrivée de Québec solidaire.

Reste qu'aux dernières élections, plusieurs observateurs soulignaient la similitude entre les programmes économiques du PQ et du PLQ. Faut-il y voir un consensus mou? La question nationale empêche-t-elle un réel débat gauche-droite?

Éric Montpetit juge l'idée «simpliste». «Ça, c'est la thèse du Maclean's!» lance le professeur de science politique de l'Université de Montréal.

Il distingue deux choses: le parti que choisira un nouveau candidat. Et les orientations que choisira ce parti. «C'est souvent, quoique pas toujours, en fonction du clivage fédéraliste-souverainiste qu'un futur candidat sélectionne son parti. Mais ce clivage ne détermine pas les positions d'un parti sur des thèmes comme le financement du système de santé, l'éducation ou les lois environnementales. On peut même débattre de langue ou d'identité sans passer par la souveraineté. Cette question revient rarement, finalement. La dernière fois qu'on en a débattu longuement, c'était (en 2000) avec la Loi sur la clarté.»

Et les pressions centristes créées au sein du PQ et du PLQ? «Cette analyse est problématique, répond M. Montpetit. Par définition, un parti politique est une coalition. À l'intérieur de tout parti, il y a des divisions sur une multitude de sujets. Ce n'est jamais simple.»

Même chose pour les intentions de vote, croit M. Monpetit. Les électeurs ne choisissent pas tous aveuglément un parti parce qu'il est souverainiste ou fédéraliste. «Le Québec n'est pas anormal. Ici comme ailleurs, les électeurs votent selon l'enjeu qui les préoccupe le plus. Ça peut être la souveraineté tout comme l'environnement, la culture ou le développement économique d'un secteur en particulier.»

Ce qui nous amène au mouvement de M. Legault. Une coalition de souverainistes et de fédéralistes de centre droit pourrait très difficilement se dissoudre dans le PQ ou le PLQ. Il reste donc un choix: rejoindre une ADQ anémique ou fonder un autre parti.

Ce nouveau parti se distinguerait moins des autres qu'on ne le croit, soutient Éric Montpetit. «Mettre la question nationale en veilleuse n'est pas une position neutre. Cela équivaut en pratique à accepter le fédéralisme. Jean Charest ne passe pas ses journées à chanter les vertus du fédéralisme. Il l'accepte et il gouverne la province. Ça ressemble un peu à ce que je comprends du mouvement de François Legault.» Il croit donc qu'un futur parti prendrait peut-être même plus de votes chez les libéraux que chez les péquistes.

«Pour qu'une nouvelle formation réussisse, elle doit se démarquer des autres, ajoute Jean-Herman Guay. Le créneau visé par le mouvement de François Legault ressemble un peu à celui des libéraux. Mais on verra, ils réussiront peut-être à s'en distinguer plus clairement.»

Le mouvement de M. Legault a écarté une idée développée en 2007 par Jean-Herman Guay dans l'article «La dialectique de la souveraineté». Il proposait que Québec permette aux citoyens de demander un référendum, à l'instar de la Suisse. «Pour l'instant, la population ne veut pas de référendum. Mais ce serait à elle de se prononcer quand elle sera prête.»

Cela permettrait selon lui d'enlever l'option référendaire des mains du PQ, qui risque de devenir «trop marginal à moyen terme pour défendre sa propre cause».

Photo: archives PC

Charles Sirois fait partie de ceux qui pourraient se joindre à la nouvelle coalition de centre droit.