En devenant chef de l'ADQ il y a 12 mois, Gérard Deltell s'apprêtait à faire le « bouche-à-bouche » à un cadavre, écrivait alors un collègue. Le chef n'a pas apprécié. Et il est encore debout pour le dire. Demain à Granby, il affrontera son premier vote de confiance au congrès de l'ADQ. Il pourrait plus tard y en avoir un second, celui des militants de droite et centre-droite qui choisiront si l'ADQ est le bon véhicule pour défendre leurs idées, ou s'il faut la dissoudre dans un nouveau mouvement (qui pourrait être formé par François Legault). À Montréal, Gérard Deltell reste plutôt méconnu. Qui est cet ancien militant conservateur devenu journaliste puis chef de l'ADQ? Portrait d'un homme fier d'être «réaliste et responsable»

Quand il a rencontré Jean Lapointe il y a quelques semaines, Gérard Deltell croyait halluciner. «Je lui ai dit: excusez-moi, mais quand vous parlez, je vois Maurice Duplessis», raconte-t-il, blotti dans un fauteuil de son bureau au dernier étage de l'Assemblée nationale.

Il a regardé «au moins 15 fois» la télésérie sur le «cheuf», incarné par le sénateur Lapointe. Ses lectures ne sont pas vraiment plus contemporaines. Son livre préféré: Le crime d'Ovide Plouffe de Réjean Lemelin, inspiré par l'affaire Pitre, un sordide crime commis en 1949.

L'histoire le fascine. Pas seulement celle des grandes dates. Aussi celle à plus petite échelle du quotidien des gens. Le diplômé en histoire s'avance au bout de sa chaise en parlant d'En pays neufs, documentaire de 1937 de l'abbé Maurice Proulx sur la colonisation de l'Abitibi.

En 1985, à 21 ans, M. Deltell fondait la société d'histoire de Château-d'Eau-Loretteville, où il habite encore. «J'ai adoré passer des après-midi à parler aux personnes âgées et monter des expositions. À chacun ses intérêts dans la vie. Moi, c'est l'histoire.»

Il conduit lentement, et avoue ne pas adorer l'alcool. «Un bon jus d'orange ou un Pepsi, ça fait la job pour moi!». Peu après, il ajoute avec autodérision: «oui, je suis plate»...

Un «vieux bleu»

Ses anciens amis et collègues à qui nous avons parlé ne sont pas d'accord. Ils répètent la même chose. «Gérard, c'est un gars intense». «Il n'y a pas cinq vitesses avec lui, raconte un ancien collaborateur. Il reste calme ou il fonce.»

Le genre d'homme qui attache une caméra sur son casque et un parachute avec moteur de tondeuse sur son dos. Puis qui sprinte dans un champ de Valcartier et s'envole. Cela s'appelle du paramoteur.

La vidéo se trouve sur YouTube. À aucun moment le chef ne parle ou même ne se montre le visage. Plutôt rare dans le temple de l'autopromotion de la toile 2.0. «Gérard s'est toujours tenu loin de la meute, explique son prédécesseur, Mario Dumont. Quand il était journaliste, il travaillait un peu à part sur ses choses.»

Gérard Deltell n'a jamais fréquenté les autoroutes politiques. À seulement 17 ans, il devient président de l'association du Parti progressiste-conservateur (PPC) de Charlesbourg. «Disons qu'on ne se pilait pas sur les pieds, se souvient-il. Il n'y avait pas beaucoup de gens, encore moins de jeunes, alors on m'a accueilli à bras ouverts.»

Il se qualifie lui-même de «vieux bleu». À la course à la chefferie du PPC en 1983, il milite activement pour le mauvais cheval, Joe Clark.

Il travaillera ensuite à Ottawa pour la députée conservatrice de son comté, Monique Tardif, avant de se réorienter quelques années plus tard en journalisme. On le verra au canal de l'Assemblée nationale, à TVA, Radio-Canada puis TQS. L'ADQ le recrute quand TQS est menacée de faillite. Il est élu à Chauveau en décembre 2008.

Mais l'ADQ traversera aussi une tempête avec le départ de Mario Dumont, la vicieuse course au leadership et la victoire contestée de Gilles Taillon. Moins de 12 mois après son arrivée à l'ADQ, Gérard Deltell en devient chef. «Il n'est pas en terrain si inconnu. À TQS, il était habitué à travailler avec peu de moyens. TQS était le mouton noir de la télé. L'ADQ, c'est un peu l'équivalent politique», dit un de ses anciens collaborateurs.

Le GBS comme boussole

En chambre, Gérard Deltell exhorte souvent le gouvernement à agir en «bon père de famille». Il assure que sa vision politique n'est pas morale. Mais elle reste guidée par des principes.

«Toute comparaison est par nature boiteuse, mais je pense que Gérard a hérité d'un vieux fond gaulliste de ses parents (une mère française et un père Pied-noir). Le travail, l'effort et une certaine idée de la responsabilité individuelle, ce sont des valeurs très importantes pour lui», estime Mario Dumont.

«On a besoin d'un gouvernement réaliste et responsable» martèlera Gérard Deltell durant les 50 minutes de notre interview.

Réaliste et responsable. Pas des mots qui font frissonner. Mais Gérard Deltell calcule que cela séduira les Québécois, qui seraient selon lui lassés des débats référendaires du PQ et de la version de l'éthique du gouvernement Charest.

Gérard Deltell navigue en politique avec sa propre boussole patentée, le GBS -gros bon sens. «C'est ça qui manque au gouvernement, croit-il. Le gros bon sens, et surtout le courage de l'appliquer. Je viens de Québec, j'adore les Nordiques, je connais par coeur leurs statistiques dans la LNH et l'AMH, mais j'ai été le seul à m'opposer à un financement à 100% public du futur Colisée, un projet hyper-populaire chez nous à Québec, défendu par l'hyper-populaire maire Labeaume. J'appelle cela du courage politique.»

Sa philosophie: miser sur les choix individuels au lieu de «niveler par le bas pour que tous soient égaux». «Il y en a qui sont meilleurs, lance-t-il. Faut pas avoir peur de voir des têtes qui dépassent.»

Il veut la mixité dans la pratique médicale. L'enseignement bilingue tout en améliorant la qualité du français. Un «dégraissage» majeur de l'État. L'exploitation future du gisement Old Harry, dans le golfe Saint-Laurent. Et aussi un développement accéléré pour sortir de la «honte» de la péréquation.

Le chef de l'ADQ se dit de «centre-droite». Où se situe alors le PLQ? «Au centre de la peur!», nargue-t-il.

Un vieil ami de M. Deltell nous avoue être encore surpris de le voir à l'ADQ. «C'est peut être à cause d'un concours de circonstances, avec la crise à TQS et les élections qui ont suivi peu après. J'imaginerais davantage Gérard à Ottawa avec les conservateurs. D'autant plus que c'est un proche de la ministre Josée Verner.»

D'autres le disent plus fédéraliste qu'autonomiste (il a voté non en 1995). Le chef bouille en écoutant cette critique. «Un député du PQ m'a dit récemment: depuis je sais que tu voterais non à un nouveau référendum, je trouve ça con, ton autonomisme. C'est le crois ou meurs avec le PQ. Moi, je n'ai pas de leçon de nationalisme à recevoir! Travailler comme député pour défendre la nation québécoise, c'est ça, être un vrai nationaliste.»