Ses amis libéraux ne l'ont pas suivi, mais Martin Drapeau, militant de Groulx, a obtenu ce qu'il voulait. Sa proposition de déclencher une enquête publique sur le secteur de la construction et des contrats publics lui a donné une notoriété immédiate.

Assez pour le mettre hors d'atteinte de ceux qui voudraient lui faire un mauvais parti, a-t-il confié, fébrile, à La Presse dimanche.

Fini les nuits blanches, espérait tout haut le conseiller financier avant tout préoccupé par l'environnement - il faisait partie de la fronde d'une poignée de militants libéraux contre le projet de Jean Charest d'exproprier une partie du parc du Mont-Orford, il y a quatre ans.

Poursuivi par un entrepreneur des Laurentides qui voulait le faire taire, M. Drapeau était déterminé à faire parler de lui après des mois de friction avec le monde de la construction. Toutes les caméras étaient braquées sur lui, samedi, quand il a proposé, en vain, que le Parti libéral du Québec se prononce en faveur d'une enquête sur l'allocation des contrats de construction. Personne ne l'a suivi dans cette opération kamikaze; sur 500 militants libéraux, personne n'a jugé utile de même seconder sa motion pour que le débat se fasse sur le parquet. En échangeant dimanche avec les journalistes, M. Drapeau s'est fait interrompre. Un militant regrettait le mutisme de samedi: «On a eu l'air de pissous, on aurait dû au moins débattre», a admis ce délégué.

Mais, déjà, Martin Drapeau ne s'en faisait guère. Son but était atteint. «Un leader environnementaliste connu m'a dit que, dans ces cas-là, il faut que les gens voient ta face. Il faut qu'ils te connaissent, si tu ne veux pas te retrouver dans le fleuve avec des Hush Puppies en ciment», a-t-il raconté dimanche.

Après une longue conversation avec Guy Ouellet, ancien policier et député libéral de Chomedey, M. Drapeau a soutenu être «rassuré». Entrepreneur dans la maçonnerie, forcé d'accepter le Hells Angel Casper Ouimet dans son entreprise, Paul Sauvé avait adopté la même stratégie et, pour éviter des représailles, dévoilé ses problèmes dans de longues entrevues à La Presse, il y a plus d'un an.

De son côté, M. Drapeau, observateur attentif des décisions des assemblées du conseil municipal de Boisbriand, avait à l'oeil le sort de l'usine de traitement d'eau de sa municipalité.

Il s'est aperçu qu'en une seule réunion, d'un trait de plume, la Ville a fait passer le contrat de réparation de l'usine de traitement d'eau de 17 à 34 millions. Au surplus, même si 20 entrepreneurs s'étaient montrés intéressés et avaient demandé les «cahiers de charge» à l'origine, une seule firme a finalement soumissionné - Infrabec, que dirige Lino Zambito.

Un scandale «entre deux grenouilles»

«Quand, entre deux grenouilles, un environnementaliste tombe sur ce genre de chose par hasard, c'est que le problème est immense, vous pouvez penser que c'est généralisé», a dit M. Drapeau.

Il s'est fait menacer par l'entrepreneur Zambito, qui lui a prédit qu'il allait «trouver l'été long» s'il refusait de reculer et de s'excuser.

Infrabec a par la suite intenté contre lui une poursuite de 150 000$, mais M. Drapeau a triomphé, en mai dernier, grâce à la loi sur les poursuites-bâillons. Il est le premier Québécois à avoir gain de cause en vertu de cette loi adoptée l'an dernier. L'entrepreneur a été condamné à lui verser 15 000$ en dommages et intérêts.

À Boisbriand, le mari de la nouvelle mairesse, Louis Kemp, et Denis Desrochers, d'Excavation Panthère, qui s'était plaint de n'avoir pas obtenu le contrat de l'usine de traitement d'eau, ont été tabassés l'an dernier sans que la police ait, depuis, pu trouver les coupables.

«Les policiers ne les ont pas trouvés jusqu'ici, cela ne veut pas dire qu'ils ne les trouveront pas», a souligné l'ex-policier Guy Ouellet. Denis Morin, patron de l'escouade Marteau, a d'ailleurs indiqué publiquement tout récemment que des arrestations étaient à prévoir dans un avenir proche.

Pour l'ancien policier, une commission d'enquête nuirait au travail des agents. Il détenait un rôle-clé dans Carcajou, à la Sûreté du Québec, quand le ministre péquiste Serge Ménard repoussait, jour après jour, l'enquête publique que réclamait le critique libéral Jacques Dupuis sur le problème des motards criminels. «S'il y avait eu une enquête publique, "Mom" Boucher serait encore dehors aujourd'hui, on serait encore pris avec le chaos et il y aurait d'autres innocentes victimes», a soutenu M. Ouellet. Martin Drapeau n'achète pas cette thèse. «"Mom" Boucher était un criminel notoire, le crime organisé fonctionne actuellement en secret» et il y aurait des avantages à mettre en lumière ses pratiques.

Crever l'abcès

Selon lui, le problème de la corruption dans l'industrie de la construction est «généralisé» et Québec devrait «crever l'abcès». «Tout le Québec parle du problème de la construction sauf dans la salle du conseil général», a déploré M. Drapeau.

«Il m'en avait parlé, le fait qu'il n'ait pas trouvé de secondeur a étonné tout le monde. Il n'a pas été repoussé, au contraire», a souligné dimanche M. Charest à l'issue du conseil général.

Après sa déconfiture sur le plancher du congrès, M. Drapeau n'était pas amer. Les militants craignaient les conséquences politiques d'un débat acrimonieux qui divise les gens, a-t-il expliqué. «On entend dire souvent qu'il ne faut pas faire exprès pour perdre les élections. Mais je pense qu'au stade où on en est, même s'il n'y a pas de commission d'enquête, les chances sont fortes, qu'on soit dans le trouble assez rapidement», a laissé tomber M. Drapeau.

Selon lui, toutes ces querelles judiciaires n'auraient pas été nécessaires si le ministère des Affaires municipales avait fait enquête sur la plainte qu'il a reçue il y a trois ans, a déclaré le militant Drapeau. Les nouvelles lois récemment adoptées sur l'éthique municipale peuvent avoir un effet «à la condition qu'elles soient appliquées».

«Si le ministère des Affaires municipales avait fait son travail, je n'aurais pas été poursuivi, il n'y aurait pas eu de nuits blanches. Mais ils n'ont pas fait leur job», a-t-il affirmé dimanche.