C'était il y a deux ans. Les 40 milliards de dollars de pertes de la Caisse de dépôt n'étaient qu'une rumeur. Personne ne savait que Tony Accurso avait un yacht somptueux où il invitait politiciens et leaders syndicaux.

Au fait, bien peu de gens avaient entendu parler de Tony Accurso.

Le mot «corruption» n'était encore utilisé que rarement à l'Assemblée nationale. On parlait de crime organisé et de chantiers de construction, mais rarement dans la même phrase.

C'était il y a deux ans, jour pour jour: le 8 décembre 2008, Jean Charest a été reporté au pouvoir pour son troisième mandat consécutif, une série inégalée depuis Maurice Duplessis.

Aujourd'hui, à mi-mandat, Jean Charest est assiégé. L'insatisfaction des électeurs à l'égard de son gouvernement atteint des records. Plus encore, ses adversaires ne se gênent plus pour mettre publiquement en doute son intégrité. Du jamais vu. Dimanche dernier, à l'émission Tout le monde en parle, en équilibre précaire sur un tabouret, exténué par sa semaine et le long enregistrement, Jean Charest s'est fait assommer par la diatribe de Louis Morissette, qui réclamait de nouveau une enquête publique. Le contact entre Jean Charest et l'auditoire était rompu. Comment rétablir le courant? Bien des observateurs y vont de leurs conseils. Reste à choisir le bon.

Trop tard pour une commission d'enquête

L'ancien chef de cabinet Daniel Gagnier était aux premières loges quand Charest a retrouvé la faveur publique après avoir été élu minoritaire en 2007. «C'est trop tard pour une enquête publique, dit-il. Il reste deux ans, il faudrait attendre deux ans pour le rapport et ça coûterait une soixantaine de millions.»

Les entrevues du week-end dernier «montrent un premier ministre qui est prêt à se battre». Son défi est «de garder son énergie, de maintenir la cohésion du caucus et de tenter de renverser la vapeur avec des priorités où les gens se reconnaîtront. C'est toujours l'emploi, l'économie, les services gouvernementaux, l'accès au réseau de santé. Il ne peut passer encore deux ans dans la grogne comme cela.»

Charest mal conseillé?

Des libéraux de longue date parlent, mais ne veulent pas qu'on les nomme. Certains montrent du doigt l'entourage du premier ministre, notamment Marc Croteau, le chef de cabinet, dont les réflexes sont plus proches de ceux d'un mandarin que d'un capitaine de la garde rapprochée. D'autres restent optimistes: en 2007, le PLQ récoltait 15% d'appuis chez les francophones. Il a tout de même été réélu, majoritaire, en 2008. Jean Charest veut remettre l'économie à l'avant-scène dès le début de 2011. Il faut s'attendre à ce qu'il martèle jour après jour le clou de la performance économique au Québec.

Manque de cohésion

Jean-Claude Rivest fait partie de ces vétérans. Il en a vu d'autres, des périodes difficiles, aux côtés de Robert Bourassa dans les années 70. Selon le sénateur, le gouvernement a dévoilé une série de mesures importantes sur le financement des partis, sur l'éthique municipale, mais ces gestes ont «manqué de cohésion». Il faut, selon lui, que «le premier ministre mette de l'avant sa politique, qu'il donne une direction très forte aux dossiers».

«Le point de mire va changer au printemps; c'est le PQ qui sera sur la sellette (Mme Marois fait face à un vote de confiance en avril)», prédit-il. Mais il l'admet facilement: «Les gens n'écoutent plus.» Les changements de cap, «peut-être que cela ne marchera pas».

Autre sénateur, Dennis Dawson était aux côtés de Paul Martin à Ottawa quand le gouvernement du PLC glissait dans les sondages. «M. Bourassa disait que six mois, en politique, c'est une éternité, rappelle-t-il. Aujourd'hui, on pourrait dire six semaines!» Surtout, à son avis, il ne faut pas de commission d'enquête publique. Il était là quand Paul Martin a créé la commission Gomery. «Ce n'est pas quelque chose que je lui recommanderais», dit Dawson, un sourire en coin.

Faire un bilan privé

Avant tout, Jean Charest doit retrouver une vieille recette, un «lac-à-l'Épaule»: «Faire un bilan en privé avec son Conseil des ministres, à mi-mandat, ça peut être utile», observe le sénateur libéral.

Ancien conseiller de René Lévesque et de Jacques Parizeau, Louis Bernard partage cet avis: «C'est vraiment le temps d'un think tank, de préciser trois grands objectifs et un programme d'action pour y arriver.» Il faut faire l'inventaire et choisir quelques problèmes qui touchent les gens. «Il a eu des gestes corrects, en environnement, par exemple, mais il manque un plan d'ensemble.» En 2002, alors qu'il était en situation difficile, le gouvernement Landry avait adopté cette stratégie et proposé un plan, Horizon 2005, qui avait momentanément attiré l'attention. Mais le PQ avait tout de même été battu en 2003.

John Parisella avait été désigné volontaire pour aider Jean Charest après sa courte victoire de 2007 le premier gouvernement minoritaire au Québec en 150 ans. Devenu délégué du Québec à New York, Parisella n'est pas loquace, mais il rappelle volontiers que la remontée de 2007 avait suivi «un retour aux lignes de force du PLQ: le développement économique».

Des électeurs désabusés

Patron de Créatec, firme désormais fermée, Grégoire Golin était le sondeur du PLQ à l'arrivée de Jean Charest. «Les questions d'intégrité sont énormes. Le bilan économique peut être bon, mais pas à la hauteur.» Selon lui, Jean Charest ne peut se permettre «de rester isolé sur la question de la commission d'enquête. En même temps, il ne peut plus la mettre sur pied, les dommages sont faits». Il y aurait peut-être une issue, étroite: convoquer les ténors de la société civile à un sommet, un forum, pour aborder les questions d'éthique, la conduite des élus, municipaux comme provinciaux. «Cela lui permettrait de se replacer au-dessus de la mêlée. Il aurait l'air d'écouter plutôt que d'être en opposition à ce que tout le monde veut.» Des gestes ont été faits, des lois viennent d'être adoptées à l'Assemblée nationale, mais ces initiatives ont été disparates et sont «restées dans la sphère des spécialistes».

Jean-François Dumas, d'Influence Communications, observe quant à lui que Jean Charest souffre beaucoup du désabusement des électeurs. «Jean Charest ne l'a pas facile à cause de la conjoncture. Toutes les institutions sont mises à mal. Si ces problèmes étaient de sa responsabilité, l'opposition serait portée aux nues. Or, elle n'occupe pas beaucoup de place dans l'espace médiatique.» «Historiquement, Jean Charest a toujours baissé les voiles quand cela allait mal, et il les remonte en campagne électorale.»

Une intégrité mise à mal

Blogueur à L'actualité, Jean-François Lisée croit que Jean Charest doit faire deux choses s'il veut que les gens recommencent à l'écouter. D'abord, il doit décréter un moratoire sur le gaz de schiste il avait eu ces reculs salutaires dans la privatisation du mont Orford et le projet du Suroît.

Ensuite, il doit agir sur la question de l'intégrité. Il pourrait circonscrire le mandat d'une commission d'enquête au financement des partis politiques plutôt que d'ouvrir tous azimuts sur la construction, le crime organisé et les contrats gouvernementaux. «Les gens diraient: «Il a compris, on peut recommencer à l'écouter...» Actuellement, les gens croient qu'il est personnellement corrompu. Prendre 75 000$ par année (l'allocation que lui versait son parti en sus de son salaire de premier ministre, NDLR), cela part mal. Il a une preuve de virginité à faire. C'est réversible, mais les questions d'intégrité sont plus lourdes que de mauvaises décisions politiques», estime l'ancien conseiller de Jacques Parizeau. Sa chance, c'est que personne dans son parti ne lui souffle dans le cou.

Un gouvernement usé

Politologue de Sherbrooke, Jean-Herman Guay estime qu'il sera «presque impossible» à Jean Charest de renverser la vapeur. L'intégrité du gouvernement est mise en doute. Bien que, en dollars constants, les caisses des deux principaux partis n'aient pas vraiment bougé depuis 30 ans, «on est en face d'une perception, d'un constat. L'opinion publique est avant tout fatiguée d'un homme qu'elle voit depuis longtemps».

La meilleure carte de Jean Charest a toujours été de se colleter avec Ottawa. Le bras de fer au sujet du dédommagement attendu d'Ottawa sur l'harmonisation de la taxe de vente pourrait être l'occasion de rebondir. «Mais il ne parvient plus à tirer profit de ses bons coups, de la performance économique. C'est le signe de l'usure du gouvernement», résume M. Guay. Il faut, rappelle-t-il, remonter à Alexandre Taschereau pour trouver un chef libéral provincial qui est resté en poste aussi longtemps, de façon continue.