Entreprise d'informatique modeste lors de l'arrivée au pouvoir des libéraux, il y a sept ans, R3D a le vent dans les voiles depuis trois ou quatre ans. Depuis, surtout, l'embauche de l'ancien responsable de l'ensemble du dossier informatique au gouvernement Charest.

Ancien «secrétaire associé aux ressources informationnelles» à Québec, Robert Desbiens a quitté le gouvernement en 2005. Après avoir travaillé un temps à IBM Canada, il est passé à R3D, une firme de consultants en informatique fondée en 1995.

Un relevé des contrats accordés par sept des sociétés publiques les plus gourmandes en consultation informatique illustre le bond gigantesque des mandats obtenus récemment par R3D. Entre 2003 et 2005, la firme avait décroché cinq contrats d'une valeur totale de 2 millions de dollars.

De 2005 à juillet 2010, selon des relevés obtenus grâce à la Loi sur l'accès à l'information gouvernementale, la firme a obtenu pas moins de 42 contrats, qui lui ont rapporté des honoraires de 84 millions de dollars.

Des fonctionnaires clés dans l'attribution de ces contrats ont dit à La Presse qu'ils n'ont rien à redire du travail exécuté par la firme. Il est certain toutefois que la présence de M. Desbiens à titre de vice-président pour le Québec, avec la sympathie notoire des décideurs politiques, est un facteur très lourd dans les succès de l'entreprise.

Victoire de 2003

Avant d'être chargé de toute la machine responsable des achats informatiques à Québec, M. Desbiens a fait partie de la garde très rapprochée des organisateurs de Jean Charest lors de la victoire libérale de 2003. Il a été l'un des rares invités à la résidence du défunt père du premier ministre le soir des élections. À l'époque, il était à Cisco Canada, filiale du géant californien. M. Charest s'était d'ailleurs rendu à Silicon Valley, à l'époque où il était chef de l'opposition, à l'instigation de M. Desbiens.

Les plus gros clients de R3D ont été le Centre de services partagés du gouvernement, la Commission de la santé et de la sécurité du travail et la Commission administrative des régimes de retraite (CARRA, qui administre les rentes des retraités du gouvernement).

Le Centre des services partagés avait été créé par le gouvernement libéral. Il a attribué pour 37 millions de contrats à R3D, dont un de 15 millions en mai dernier. Récemment, la présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne, a critiqué le rôle du CSPQ, au coeur des décisions gouvernementales en matière d'informatique. Des 2,6 milliards de dollars que dépense Québec chaque année à ce poste, 200 millions pourraient être épargnés, estime Mme Courchesne.

R3D a en outre obtenu de la CSST 13 contrats totalisant 23 millions, dont un de 12,5 millions l'été dernier. R3D avait été sollicitée d'abord comme conseillère dans un dossier litigieux avec DMR - un contrat de 47 millions que la CSST avait suspendu après 15 millions de dépenses inutiles, que R3D a recommandé de stopper.

Depuis 2005, R3D a aussi obtenu de la Société de l'assurance automobile du Québec trois contrats totalisant 2,6 millions. Auparavant, elle avait obtenu là deux mandats qui atteignaient 1,6 million.

Seule soumissionnaire

Quant à la CARRA, elle n'avait donné que 200 000 $ de contrats à R3D avant 2005. Depuis, la firme a reçu un total de 19 millions de dollars en honoraires pour huit contrats. Dans six cas, elle a été la seule soumissionnaire ou désignée comme seule candidate admissible par un comité de sélection interne.

R3D est, avec LGS, le principal consultant dans un supercontrat qui a carrément dérapé à la CARRA. Le projet RISE est passé de 50 à 108 millions, et ses problèmes ont suscité l'an dernier pas moins de 1300 plaintes de retraités qui ne reçoivent pas la rente qui leur est due. La part de LGS est passée de 43 à 63 millions.

Plaintes

Dans un reportage, hier, la radio de Radio-Canada a révélé que la CARRA avait reçu en 2010 de trois à quatre fois plus de plaintes pour les retards de traitement des dossiers qu'au cours de l'année précédente. C'est l'implantation du nouveau système informatique qui est responsable du fiasco.

La Presse avait déjà parlé des problèmes à la CARRA l'an dernier. Le système acheté à prix fort était inopérant, et les actuaires de la société étaient forcés de calculer «à la main» les prestations des fonctionnaires. Depuis le printemps, la CARRA verse aux retraités des prestations approximatives en leur disant que les prestations exactes seront calculées plus tard, a expliqué un retraité à La Presse.

Selon Radio-Canada, les nouveaux retraités éprouvent même des problèmes à entrer dans le système. Même après le préavis de trois mois, plusieurs d'entre eux n'ont reçu aucune réponse et ne peuvent toucher les prestations auxquelles ils ont droit. Certains se retrouvent carrément sans le sou parce que la CARRA n'a pu traiter leur dossier.

Présidente de l'organisme, Jocelyne Dagenais a soutenu hier que la situation serait bientôt corrigée. «Le fait d'émettre 300 000 chèques par mois sans interruption depuis janvier est déjà l'assurance pour moi que la solution fonctionne» a-t-elle dit.

Le Syndicat des professionnels du gouvernement juge incompréhensible que des systèmes aient été implantés sans avoir été testés adéquatement.

La CARRA a dû embaucher des équipes pour traiter manuellement les demandes, ce qui a fait grimper les coûts de traitement, payés à parts égales par le gouvernement du Québec et les cotisants.