Les travaux ont été mouvementés au comité chargé de conseiller la ministre Yolande James sur sa directive interdisant l'enseignement religieux dans les garderies subventionnées. Un spécialiste des relations interculturelles a claqué la porte après la première réunion. La représentante des CPE juifs l'a imité plus tard. Et la porte-parole des CPE catholiques s'est sentie flouée par un gouvernement qui, selon elle, a imposé ses vues au comité.

Dévoilée vendredi dernier, la directive a été plutôt mal accueillie par les principales intéressées - les garderies religieuses, que l'on n'avait pas entendues depuis l'annonce de la ministre. Elles reprochent au gouvernement de les avoir invitées à un comité-conseil sans écouter leurs doléances. Certaines entendent faire pression sur le gouvernement pour qu'il revoie sa directive avant son entrée en vigueur, le 1er juin.

«Les parents ne sont pas prêts à accepter ça. Ils sont prêts à s'unir à d'autres groupes pour faire entendre leur voix», a affirmé à La Presse soeur Ethel Rousselle, responsable de trois des cinq CPE des soeurs salésiennes de Don Bosco.

Elle a siégé au comité-conseil créé par la ministre. «J'ai été déçue. J'ai accepté de faire partie de ce comité parce que je pensais qu'on pourrait travailler ensemble. Mais la directive était déjà toute tracée, les choses étaient pas mal décidées. Ç'a été difficile pour nous d'émettre des opinions.», a-t-elle affirmé. Soeur Rousselle a tout de même siégé au comité jusqu'à la fin des travaux.

Invité à titre de spécialiste des relations interculturelles, Pierre Anctil, lui, a quitté le comité après la première réunion. «Ce qui était assez clair, c'est que ce n'était pas négociable. C'était pour nous dire que la décision était prise et que toute forme d'expression religieuse était nuisible pour le développement et l'intégration des jeunes enfants», a dit le professeur au département d'histoire de l'Université d'Ottawa. M. Anctil, anthropologue, a présidé le Conseil des relations interculturelles du Québec, un organisme gouvernemental, en 2002-2003.

«J'ai expliqué au comité que cette question était délicate du point de vue des droits fondamentaux protégés par les chartes. Et la directive semble violer les droits fondamentaux.»

«Je pense que l'État prend des risques en s'immisçant dans ce genre de problématique, a-t-il ajouté. L'enseignement religieux au primaire et au secondaire est cautionné et financé par l'État, tant dans les écoles catholiques que juives, musulmanes, grecques orthodoxes ou arméniennes. Je ne vois pas de quel droit on l'empêcherait au préscolaire.»

Les écoles confessionnelles peuvent en effet enseigner la religion, pourvu qu'elles respectent le régime pédagogique défini par l'État. Notons que des communautés possèdent à la fois des garderies et des écoles subventionnées.

Application ardue

Selon M. Anctil, la directive sera difficile à appliquer. Il craint «l'arbitraire» des inspecteurs du ministère de la Famille, dont le nombre triplera.

Rappelons que la directive interdit les activités d'enseignement religieux dans les CPE et les garderies subventionnées. Mais elle n'empêche pas «une manifestation culturelle particulière liée à une fête à connotation religieuse», comme Noël. Les objets religieux sont permis, à condition qu'ils ne soient pas trop nombreux et ne servent pas à l'enseignement d'une religion. Les employés peuvent prier «individuellement», tout comme les enfants, pourvu qu'ils ne soient pas «supervisés» ou «encouragés» par le personnel. Les enfants peuvent bricoler une crèche ou une menora pourvu que le personnel n'en profite pas pour inculquer une croyance.

Appliquer la directive sera «la quadrature du cercle», estime Daniel Amar, directeur du Congrès juif canadien, section Québec. L'association des CPE de la communauté juive, qui relève du Congrès, s'est retirée du comité-conseil en cours de route. «On a senti que les choses n'allaient pas dans le sens du compromis souhaité», a dit M. Amar.

Selon M. Amar, «la communauté est déçue. On a le sentiment que la communauté juive fera les frais de la quête de la laïcité absolue».

Soeur Rousselle déplore que le gouvernement n'ait pas reconnu de «droits acquis» aux garderies «qui sont là depuis plus de 30 ans», comme celles des soeurs salésiennes de Don Bosco, «qui ont fait leurs preuves et qui n'ont jamais eu de plaintes». Les garderies de la congrégation «n'ont jamais endoctriné les enfants», a-t-elle ajouté.

«Fêter Noël sans être capable de parler de Jésus, pour moi, ce n'est pas Noël. L'application de la directive est difficile à accepter.» Les CPE catholiques consacrent «une vingtaine de minutes par semaine à des activités à caractère religieux». «Pourquoi être pénalisé pour un si court laps de temps?» a-t-elle demandé.

La directive laisse indifférente l'Association des projets islamiques charitables, qui gère une garderie à Laval. Elle était pourtant au centre des reportages qui sont à l'origine de la controverse. «Tout ce qui est objet religieux, texte religieux ou enseignement religieux, on ne l'applique pas chez nous. Alors la directive ne nous concerne pas directement», a affirmé son porte-parole, Samir Taleb, qui a siégé au comité-conseil.

Le comité-conseil était également composé d'«associations nationales», comme l'Association québécoise des CPE et l'Association des garderies privées du Québec. Un théologien et chargé de cours à l'UQAM, Frédéric Castel, a siégé au comité à titre de consultant, mais il n'a «pas participé à la conception de la directive», qu'il n'a pas voulu commenter non plus.

Une centaine de CPE et garderies subventionnées de différentes confessions, qui accueillent environ 2000 enfants, enseignent la religion, selon le ministère de la Famille.