Cela fera cinq mois la semaine prochaine. Au début du mois de septembre, l'ancien ministre péquiste François Legault a rencontré une vingtaine de personnes, toutes interpellées par le débat public, avec le dessein de jeter les bases d'un nouveau parti politique.

Bien sûr, il n'était pas question d'ouvrir si rapidement son jeu; on préparerait d'abord un «manifeste» dans lequel les signataires trouveraient des valeurs et des objectifs communs.

Le moment est alors parfaitement choisi: le mécontentement à l'endroit du gouvernement ne se dément pas; bien des doutes perdurent sur le leadership de Pauline Marois ; l'Action démocratique, le point de chute de la droite, paraît vouée à une longue agonie. Tout de suite François Legault est propulsé au sommet des sondages: son nouveau parti, bien qu'encore virtuel, aurait supplanté le PQ et aurait fini premier aux élections.

Stratège de l'ombre ou ouvrier du vent

Mais à force d'attendre, quand l'heure a sonné, ce n'est plus la sienne: cinq mois plus tard, à la mi-février, François Legault doit sauter à l'eau. Or, la fenêtre de l'automne semble s'être refermée: les libéraux sont toujours au plus bas dans les sondages, mais Mme Marois paraît davantage maîtresse de ses troupes. Surtout, l'ADQ a retrouvé un peu d'oxygène : un bon score à la complémentaire dans Kamouraska, de bien meilleurs résultats aux sondages, l'ancien parti de Mario Dumont recommence à attirer des joueurs autonomes. Claude Garcia, ex-patron de la Standard Life, et Richard Thibault, communicateur bien connu à Québec, ont décidé de monter dans l'autobus de Gérard Deltell.

François Legault est rompu à ces grandes manoeuvres dans l'ombre... qui se transforment en vent. Pour bien des péquistes, pendant des années, il a joué les chefs virtuels. Ainsi en 2005, après le départ-surprise de Bernard Landry, quand il avait annoncé qu'il rentrait dans ses terres à des dizaines de jeunes militants qui avaient mis tous leurs oeufs dans son panier.

Pourtant, l'automne dernier, le projet de Legault mobilisait l'enthousiasme. Les médias s'étaient jetés sur l'affaire; un nom, «Force Québec», sitôt lancé, est sitôt désavoué. On chuchotait que Philippe Couillard, Lucien Bouchard et, bien sûr, Joseph Facal étaient dans l'antichambre, prêts à sauter dans la mêlée, intéressés à jouer les guides spirituels.

Puis ce fut la cascade des échéances toujours repoussées : le nouvel évangile sera publié en octobre, puis en novembre. «Avant la fin de l'année 2010», affirma-t-on enfin avec autorité dans l'entourage du Sphinx d'Outremont.

Depuis, c'est le silence radio. Silence? Pas tout à fait: Joseph Facal a fait du bruit... et faux bond.

«Nous ne faisons pas la même lecture de ce qu'il convient de faire à l'heure actuelle», a tranché M. Facal en novembre dernier. Philippe Couillard ne fait pas mystère des discussions qu'il a eues avec François Legault, «pour l'inviter à se joindre au Parti libéral», racontent ses proches, sourire en coin.

D'autres qui avaient été vus comme partie d'un éventuel mouvement se sont désistés dès qu'ils ont vu leur nom imprimé dans le journal. La fédéraliste Christiane Germain n'avait pas apprécié. Le chanteur Gregory Charles, comme bien d'autres, a réitéré sa sympathie à l'endroit de l'ancien patron d'Air Transat avant de lui expliquer qu'il ne pourrait pas être publiquement associé à son aventure. Par personne interposée, Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes, s'est longtemps informé des progrès de l'opération mais, bien que déterminé à faire un jour de la politique, il a décidé aux Fêtes de ne pas monter dans l'autobus Legault.

L'avocat Mario Charpentier, ancien président de l'ADQ, est toujours proche de François Legault et de son groupe, avec qui il a «des discussions personnelles et informelles», a-t-il expliqué à La Presse cette semaine. Dans les coulisses, il est l'un de ceux qui s'agitent le plus pour que l'affaire prenne son envol, mais il ne fait «pas partie de ce groupe et continue d'être un membre de l'Action démocratique du Québec», insiste-t-il. L'ex-députée Marie Grégoire, devenue «ex» tout court, était aussi attirée par l'aventure mais ne veut pas compromettre son poste d'analyste à Radio-Canada.

Ainsi, depuis cinq mois, le nombre des signataires du fameux manifeste n'a pas augmenté - il a plutôt diminué. En promettant une «gauche efficace», Francois Legault a refroidi bien des sympathisants de la mouvance de droite, toujours attirés par de bons sondages.

M. Legault parlait lui-même d'une quinzaine de personnes aux Fêtes, «14 ou 16, selon le libellé du texte». Cette semaine, il a plutôt évoqué une dizaine de signataires, parce que de nombreux sympathisants ne pouvaient publiquement s'associer à une telle démarche, a-t-il tenu à répéter.

François Legault, il faut le dire, a longtemps été bien difficile dans le choix de ses «amis». Il avait demandé à un leader patronal de l'aider à trouver des «fédéralistes». On lui désigne Claude Garcia, ancien patron de la Sun Life, qui avait le goût de se lancer en politique. Trop fédéraliste au goût de M. Legault. Tel autre est «un has been». Un troisième n'est pas assez connu... L'ancien ministre péquiste a fait la fine bouche pendant des semaines, il se trouvera bientôt à court d'amis.

Diane Bellemare, sa quasi-voisine outremontaise, avait le profil parfait. Universitaire réputée, ex-candidate puis stratège de Mario Dumont, un passage à la tête du Conseil du patronat... «J'ai eu des discussions avec François Legault, mais je n'ai jamais vu de texte, de manifeste», a-t-elle expliqué cette semaine. Un autre adéquiste, comme Sébastien Proulx, est sur le bout de son siège pour refaire de la politique depuis sa défaite d'il y a deux ans. Il n'a jamais eu de coup de fil d'Outremont. Une amie de Legault, l'ex-députée adéquiste Linda Lapointe, dit ne pas être partante. Éric Caire, l'adéquiste devenu indépendant, n'a pas eu de contact avec François Legault.

Pourtant, de ceux qui consentiront finalement à être identifiés à son mouvement, personne n'a de notoriété hormis Charles Sirois, l'homme d'affaires prospère qui, en 1998, avait aidé Jean Charest à choisir ses candidats. Peut-être exaspéré d'attendre le manifeste, il a lui-même livré son credo devant le Cercle canadien de Montréal, la semaine dernière, un plaidoyer pour l'innovation technologique et l'entrepreneuriat.

François Legault aura réussi à convaincre une poignée de députés adéquistes qui se sont fait laminer aux élections de décembre 2008. L'universitaire Guy Laforêt, longtemps associé à l'ADQ, était aussi proche du manifeste.

L'automne dernier, Gérard Deltell, le chef adéquiste, avait lui-même sollicité l'ancien ministre péquiste. Avec des sondages dévastateurs, il était tout disposé à lui donner le fonds de commerce du parti de Mario Dumont, à devenir son lieutenant, responsable de l'aile parlementaire d'une nouvelle formation politique. Mais depuis, la donne a changé, François Legault ne peut espérer réaliser aussi facilement une prise de contrôle de l'ADQ. Lui qui faisait le difficile il y a quelques mois a pris contact avec Me Jean Allaire, l'un des fondateurs de l'ADQ, histoire de mesurer la température de l'eau... plutôt froide. Ce qu'espère Deltell, désormais, c'est que Legault se rallie à l'ADQ, qu'il prenne les commandes d'un parti existant.

Cette semaine, les maires de Trois-Rivières et de Bécancour se sont chicanés à savoir si le TGV entre Montréal et Québec, bien virtuel, s'arrêterait chez eux. À Québec, l'ancien gardien de but Patrick Roy spécule sur son rôle à la barre d'une éventuelle équipe de la LNH et des gérants d'estrade spéculent sur le style de jeu attendu de la formation virtuelle. L'amphithéâtre n'est encore qu'un terrain vague!

Sur la scène politique provinciale, c'est aussi saugrenu. Bien des Québécois voudraient élire un parti qui n'existe pas, sur la base d'un programme dont la première ligne reste à écrire.