Le gouvernement Charest jongle depuis des mois avec une bombe. Les travaux de réfection du pont Honoré-Mercier, exécutés par un entrepreneur mohawk, se sont faits sans que les lois québécoises s'appliquent.

La Commission de la construction et la Commission de la santé et de la sécurité du travail n'ont pas le pouvoir d'inspecter ces travaux, exécutés par des ouvriers autochtones qui n'ont pas de certificat de qualification.

«On nous dit que c'est tout croche, mais personne ne peut aller vérifier», soutient Donald Fortin, président du Conseil provincial des métiers de la construction. Comme personne ne s'occupe de l'application de la loi R-20, «on ne sait pas comment les gens sont payés, personne ne vérifie les compétences ni même les questions de sécurité du travail», observe le syndicaliste.

Le Conseil provincial a même entrepris un recours judiciaire pour forcer la Commission de la construction à faire appliquer la loi dans ce chantier, dont l'entrepreneur n'a pas de licence. «Combien d'employés sont sans certificat? Personne ne le sait! L'entrepreneur ne tolère pas d'inspecteur sur son chantier», s'insurge M. Fortin.

Premier signe que quelque chose cloche: depuis les Fêtes, les camions ne peuvent plus passer sur le pont Mercier en direction sud.

Comme les vieux parapets menaçaient de ne pas supporter un impact, il a fallu ajouter des glissières temporaires en béton. Devant cet ajout de poids, le ministère des Transports a décidé que les camions de plus de 4500 kg constituaient un risque. Du côté des transporteurs, l'impatience augmente. «C'était calme, aux Fêtes, mais avec la reprise des activités, la pression monte», observe Marc Cadieux, de l'Association du camionnage du Québec.

Déjà, en janvier, il a fallu procéder à des travaux d'urgence lorsqu'un trou important est apparu dans la dalle de béton qui recouvre la structure d'acier. Quand Transports Québec décrète la fermeture d'un ouvrage, «c'est qu'on soupçonne quelque chose d'important», explique-t-on chez les ingénieurs à Québec.

Question «délicate»

Au gouvernement Charest, des sources proches du dossier le confirment volontiers: il s'agit d'une question très délicate. «Discuter avec les Mohawks n'est jamais simple.» Québec craint d'ouvrir une boîte de Pandore en forçant le jeu avec les autochtones. Les négociateurs, John Parisella puis Louis Bernard, ont eu le mandat de marcher sur des oeufs. Cette première phase de 66 millions de dollars, un contrat accordé de gré à gré par le gouvernement fédéral à la Mohawk Bridge Consortium, n'a pas progressé au rythme prévu.

Le Conseil provincial des métiers de la construction, qui représente 400 000 ouvriers au pays (dont 40 000 au Québec), a présenté une requête en «mandamus» à la Cour supérieure, à la fin de 2009, pour obliger la Commission de la construction à remplir son mandat et à appliquer la loi. La CCQ avait contesté cette offensive, le Tribunal a jugé recevable la démarche du syndicat. Il y a encore des interrogatoires à venir, l'avocat de la CCQ utilise des manoeuvres dilatoires, accuse le syndicaliste Fortin.

Laconique, André Martin, porte-parole de la CCQ, reconnaît qu'une telle requête devant le tribunal est «une procédure exceptionnelle», mais il refuse de commenter davantage une cause actuellement devant les tribunaux. «On n'a pas à dire si des gens n'ont pas de carte sur un chantier, que ce soit un chantier autochtone ou non. Dans le cas du pont Mercier, il y a beaucoup d'acteurs: le gouvernement fédéral, la Société des ponts, Transports Québec, mais aussi le Secrétariat aux Affaires autochtones», a dit M. Martin.

Un pompiste

Dans la première phase, «on a même entendu qu'un jeune pompiste travaillait à ce chantier, alors qu'on a des ouvriers autochtones qui ont leur carte de qualification, mais qui ne travaillent pas parce qu'ils n'ont pas été sélectionnés par leur communauté», a poursuivi M. Fortin. «Il y a plus de 100 Mohawks qui ont leur certificat de qualification et qui ne travaillent pas parce qu'ils exigent d'être payés en vertu de la convention collective», a soutenu M. Fortin.

André Ménard, qui a dirigé la Commission de la construction jusqu'en janvier, «avait clairement le mandat de ne pas allumer le feu; j'imagine que c'est encore le mandat de la CCQ», observe le syndicaliste. À la suite de son départ, commandé par le gouvernement Charest, sa remplaçante, Diane Lemieux «a un premier défi devant elle», observe M. Fortin, membre du conseil d'administration de la CCQ.

Pour le Conseil provincial, un chantier aussi important ne peut rester au-dessus des lois, d'autant moins que la seconde phase, de 108 millions de dollars, a été confiée à l'entrepreneur Pomerleau, un contrat qui prévoit aussi des retombées pour les entrepreneurs autochtones.

À Ottawa, le ministre des Transports, Chuck Strahl, ne veut pas toucher à ce dossier radioactif. Le gouvernement Harper n'a que faire de frictions avec les Mohawks à quelques semaines du possible déclenchement d'élections générales. Des ténors de l'industrie du transport au Québec ont tenté de soulever le problème auprès de Stockwell Day, président du Conseil du Trésor, alors qu'il était de passage à Montréal. Le ministre conservateur a baissé le nez dans ses dossiers dès la première allusion au litige.