Le Tribunal des droits de la personne vient d'ordonner à Saguenay de retirer les crucifix de deux salles publiques au nom de la neutralité religieuse de l'État, mais celui qui orne le Salon bleu de l'Assemblée nationale restera en place.

Vendredi, la juge Michèle Pauzé a estimé que la Ville de Saguenay et son maire, Jean Tremblay, avaient porté atteinte à la liberté de conscience et de religion d'un citoyen athée, Alain Simoneau, en récitant une prière avant les séances du conseil municipal et en exposant des crucifix dans des salles publiques. Saguenay peut interjeter appel de cette décision.

Le Mouvement laïque québécois, qui appuyait M. Simoneau, entend faire pression sur les députés pour qu'ils retirent le crucifix du Salon bleu. L'Assemblée nationale devra «rendre son protocole conforme à la Charte des droits à la lumière de ce jugement», estime sa présidente, Marie-Michèle Poisson.

Partie du patrimoine

Mais à Québec, malgré la décision du Tribunal des droits de la personne, aucun parti ne veut toucher au crucifix, à l'exception de Québec solidaire.

«Il n'y a pas de changement de position de notre côté», a indiqué Renaud Dugas, attaché de presse de la ministre de l'Immigration et des Communautés culturelles, Kathleen Weil. « Le crucifix fait partie de notre patrimoine religieux et historique; il restera en place.»

Comme l'a rappelé M. Dugas, l'Assemblée nationale a voté à l'unanimité une motion pour que le crucifix reste au Salon bleu. C'était le 22 mai 2008, le jour même de la publication du rapport Bouchard-Taylor, qui a notamment recommandé que l'on retire le crucifix.

De son côté, le Parti québécois réclame l'adoption d'une charte de la laïcité qui, par exemple, interdirait aux employés de l'État de porter des signes religieux ostentatoires. Mais il estime que le crucifix fait partie du «patrimoine historique» du Québec et qu'il doit rester au Salon bleu. Rappelons que, en janvier 2007, alors qu'il était chef du PQ, André Boisclair avait soulevé toute une controverse en affirmant que le crucifix n'avait plus sa place à l'Assemblée nationale.

La députée Louise Beaudoin se dit «à l'aise avec le jugement» du Tribunal des droits de la personne «à la condition que ça vaille pour tout le monde, que l'on édicte des règles communes pour les minorités religieuses et la majorité». «C'est précisément le problème, actuellement. La Cour suprême permet le kirpan dans nos écoles, et le Tribunal interdit la prière et demande le retrait du crucifix. Ça n'a pas de sens.»

Selon elle, «ce n'est pas qu'à la majorité catholique française d'être laïque. Ça vaut pour l'ensemble de la société».

«On peut comprendre les frustrations de quelques-uns parmi la majorité qui disent: "Mais pourquoi le voile, le kirpan, tout ça est permis dans la fonction publique et nos écoles, alors qu'on vient de dire à Saguenay de décrocher son crucifix?" Est-ce que vous ne pensez pas que certains peuvent quand même se poser la question en ces termes?»

Pour Louise Beaudoin, une charte de la laïcité permettrait de débattre de balises aux accommodements religieux et de la présence du crucifix au Salon bleu. D'ici là, «le crucifix peut rester en place».

Comme le PLQ et le PQ, l'Action démocratique du Québec tient à ce que le crucifix demeure au Salon bleu. Mais Françoise David, présidente de Québec solidaire, croit que les députés doivent le décrocher au nom de «la séparation de l'Église et de l'État». La motion votée en mai 2008, avant qu'Amir Khadir ne soit élu, «est franchement déplorable», selon elle.

«Le crucifix n'a pas sa place au Salon bleu, ça m'apparaît tellement évident. Il est au-dessus de la tête du président de l'Assemblée. Et il est connu historiquement que ce crucifix a été donné par l'archevêque de Québec à Maurice Duplessis pour sceller l'alliance entre l'Église et l'État. Pourquoi le laisse-t-on là? Si c'est un objet patrimonial, on peut le mettre ailleurs», a plaidé Mme David.

Le débat sur les accommodements raisonnables demeure bien présent à Québec même s'il n'est pas aussi enflammé qu'en 2007. La semaine dernière, quelques jours avant le jugement du Tribunal des droits de la personne, les députés ont voté à l'unanimité une motion pour bannir le kirpan de l'Assemblée nationale. Et ils viennent de terminer les consultations sur un projet de loi visant à interdire le port du voile intégral dans les services publics.