«Dysfonctionnel», notre réseau de la santé a besoin d'un redressement majeur. Et François Legault estime que la solution est évidente: il faut imposer plus de discipline aux médecins, tant omnipraticiens que spécialistes.

Au cours d'une longue entrevue accordée hier à La Presse, l'ancien ministre péquiste de la Santé a développé les pistes lancées cette semaine avec la publication du document de la Coalition pour l'avenir du Québec.

En matière de santé, François Legault conserve une approche «coercitive». C'est le même homme qui, aux commandes du superministère, avait envoyé des citations à comparaître aux médecins pour les forcer à se rendre dans les urgences. L'imposition d'«activités médicales particulières», c'est son idée: depuis 2002, les omnipraticiens sont tenus de faire 12 heures par semaine en milieu hospitalier. François Legault avait dû subir les pressions de 3000 ou 4000 médecins.

«C'est difficile de négocier avec les médecins. La CSN, c'est de la petite bière à côté des deux fédérations», dit M. Legault.

Encore aujourd'hui, il attribue les problèmes d'accès au réseau de la santé au désir de confort des médecins, et d'abord des omnipraticiens. Les médecins de famille font actuellement beaucoup de «clinique sans rendez-vous». «Ils aiment ça parce qu'ils traitent n'importe quoi, des rhumes jusqu'aux varices. Des choses qui pourraient se régler avec un coup de téléphone à l'infirmière.» Mais cette pratique n'est pas contraignante. «Ils ne prennent personne en charge, et on a un système de santé qui fonctionne relativement bien de 9 à 5... en semaine», observe M. Legault.

Dans une analyse qui se rapproche de celle du Dr Gaétan Barrette, le président de la Fédération des médecins spécialistes, François Legault sort la calculatrice. Des médecins en groupe de médecine familiale sont capables de prendre entre 1400 et 1500 patients. «Ça existe, c'est fait par du vrai monde», insiste-t-il. Selon ce calcul, «on aurait besoin de 5500 médecins de famille pour toute la population du Québec. On en a 8000. Je comprends qu'il y en a qui font de l'urgence, mais si les groupes de médecine familiale fonctionnaient, il y aurait aussi moins de monde aux urgences», insiste-t-il.

Visites rémunérées

Pour encourager les médecins à s'attacher à leur clientèle, il faut selon lui une rémunération qui les incite à accepter des patients. «La première visite chez le médecin, il faut qu'elle soit payante. Puis de moins en moins payante jusqu'à ce que cela soit plus tentant de régler le problème par un coup de téléphone avec l'infirmière.»

«Vous dites ça demain à la Fédération des médecins omnipraticiens, ils vous répondront: il n'en est pas question!» prévoit-il déjà.

Pour les spécialistes, même bâton, pas de carotte. «Le Québec est le seul endroit au monde où les médecins sont des travailleurs autonomes payés à 100% par le gouvernement!» s'offusque le cofondateur de la coalition.

Ainsi, les gestionnaires se retrouvent «avec 100 personnes dans un hôpital qui décident chacune de leurs priorités. Il n'y a pas une organisation qui pourrait travailler comme ça», poursuit-il.

Il faut selon lui «donner le pouvoir aux directeurs d'hôpital de convenir d'ententes individuelles avec tous les médecins: «Pour avoir votre rémunération, voici les activités qui doivent être faites, quand et dans quel département.» Mais le directeur doit avoir le pouvoir de le faire, il faut qu'il soit au bat, imputable. Qu'on puisse le changer s'il ne livre pas», propose M. Legault.

Mais l'ancien péquiste fera grincer des dents à l'ADQ, qui l'observe avec attention. Pour lui, il n'est pas question de donner plus de place au secteur privé dans le réseau de la santé. «On touche à des dogmes. Pour moi, la priorité, en santé, n'est pas «plus de privé». On doit se concentrer pour avoir un réseau public performant et cesser de se lancer dans toutes les directions.»

Il s'impatiente quand on lui demande s'il est de la «gauche efficace» ou du «centre droit»: «Le combat, c'est le changement versus le statu quo!»

Mieux payer les enseignants

Pour les enseignants, le groupe propose une augmentation de salaire. «Valoriser la profession commence par là.»

«On augmente les salaires de tous les enseignants mais, en échange, on a une certaine poigne sur ceux qui ne sont pas compétents ou motivés», prévient-il toutefois. Il promet de chiffrer cet engagement, mais plus tard: «On ne va pas se défiler, mais on n'avait pas l'intention de faire ça le premier jour.»

Financer les hausses salariales? Des économies sont à portée de main en allégeant les structures des secteurs de la santé et de l'éducation. Hydro-Québec peut aussi livrer «des centaines de millions» quand on compare son efficacité avec d'autres organisations comparables. Mais pas question de privatiser, insiste-t-il: «Entre un monopole public et un monopole privé, je préfère le monopole public.»

Il soutient avoir hésité et longtemps discuté avec sa femme avant de se relancer dans la vie publique. Déjà, par habitant, les Québécois sont 45% moins riches que les Américains. «Si on reste les pieds sur le pouf, nos jeunes vont aller ailleurs, aux États-Unis. Dans 20 ans, le Québec sera une place de pauvres, les meilleurs seront tous partis...»

Le gouvernement Charest a raison de refuser de décréter un moratoire sur la prospection du gaz de schiste. «Il est certain que le dossier aurait pu être mieux mené. Mais on ne peut pas dire : On oublie tout ça! On devrait discuter avec l'industrie, faire un projet de loi pour qu'on encadre bien ça.»

Le gouvernement Charest et l'administration Labeaume ont mal joué leurs cartes dans le dossier de l'amphithéâtre de Québec. Le gouvernement a promis la moitié de l'investissement, 200 millions, et la Ville s'est engagée à fournir presque la totalité du reste pour atteindre 400 millions. «Compte tenu du marché, on ne peut pas penser qu'on peut faire un tel projet sans argent public. Mais il faut aussi de l'argent privé! Comme homme d'affaires, j'ai du mal à concevoir qu'on va bâtir un amphithéâtre alors qu'on n'a pas d'entente sur une équipe de hockey ni même sur le loyer.»