La Couronne québécoise a «besoin d'oxygène», a reconnu le directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Me Louis Dionne, hier, en entrevue à La Presse.

Le grand patron des procureurs de la Couronne de la province a passé cinq heures, hier, en réunion à Québec avec la quasi-totalité de ses procureurs-chefs et chefs adjoints pour tenter de dénouer la crise qui secoue son organisation. Une rencontre qu'il qualifie de «constructive», sans se réjouir pour autant.

«On doit donner de l'oxygène à l'organisation et lui permettre de rendre sa mission d'assurer les poursuites publiques au nom de l'État», a souligné Me Dionne, joint en fin de journée, hier.

«On n'a pas tout réglé, loin de là. On vit une situation sérieuse, qui n'est pas facile pour personne, y compris pour les chefs des procureurs. Maintenant que tout le monde est rentré au travail, on a besoin de l'appui du gouvernement. Et il faut que cet appui arrive rapidement», a poursuivi le DPCP.

Peu après l'imposition de la loi spéciale, le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, assurait qu'il était encore disposé à améliorer les conditions de travail des procureurs. Me Dionne a bon espoir que le ministre Fournier et la présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne, passeront de la parole aux actes.

Démissions refusées

Les procureurs-cadres ont dû crever plusieurs abcès lors de la longue rencontre d'hier, dont celui de leurs propres démissions en cascade pour protester contre la loi spéciale.

Alors que Me Dionne est resté muet durant tout le conflit de travail, au moins 31 des 48 procureurs-chefs et procureurs-chefs adjoints ont démissionné par écrit et demandé de redevenir de simples procureurs. Des «réorientations de carrière» qui leur ont toutes été refusées.

Me Dionne estime qu'il a toujours la confiance de ses cadres, sinon ils ne se seraient pas tous présentés à la rencontre qu'il a convoquée. Un seul cadre était absent, puisqu'il était en vacances, selon le DPCP.

Au terme de la grève, l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales a carrément demandé la démission de Me Dionne. «Je comprends très bien que les procureurs ressentent de la colère, de la rage, de la tristesse et qu'ils aient exprimé leurs sentiments sur la place publique. Ils ne doivent pas penser que je les ai abandonnés. Je ne les ai jamais abandonnés», répond-il.

Me Dionne justifie ainsi son mutisme: «Ce n'est pas l'expression d'un soutien public, qui aurait risqué de m'aliéner une marge de manoeuvre auprès des instances gouvernementales, qui aurait changé les choses dans les circonstances.»

La loi spéciale n'est pas une fin en soi, indique le DPCP. Dès le début de la semaine prochaine, Me Dionne a une rencontre prévue avec ses collègues du Conseil du Trésor. «On commence des travaux avec une équipe du Trésor sur les outils et les moyens que je peux mettre à la disposition des procureurs pour régler et tenter d'endiguer certaines problématiques qui ont été discutées sur la place publique ces dernières semaines», explique le DPCP.

Après deux semaines de grève, le gouvernement Charest a forcé le retour au travail des 450 procureurs de la Couronne. Le gouvernement leur a accordé une augmentation salariale de 6% sur cinq ans, alors que les procureurs exigeaient un rattrapage salarial d'environ 40%, estimant être les moins bien payés au Canada. Ces derniers sont démoralisés. Plusieurs songeraient à démissionner et à chercher un emploi au fédéral ou à la Défense.

Me Dionne reconnaît que le recrutement des procureurs qui travailleront dans la nouvelle unité permanente anticorruption pourrait être un «problème». En guise de protestation, plus de 420 des 450 procureurs refusent actuellement de poser leur candidature. «On traversera le pont lorsqu'on y sera. Peut-être que ce sera un problème. Sera-t-il insurmontable? On verra.»

Le DPCP reconnaît également que les dénonciations publiques du bâtonnier du Québec et de Me Claude Chartrand, procureur en chef du Bureau de lutte contre le crime organisé (BLACO) ont pu ébranler la confiance du public dans l'administration de la justice. Me Chartrand, qui a annoncé le premier sa démission de son poste de cadre, avait exprimé ses craintes relatives à ce que «toute l'institution du Directeur des poursuites pénales et criminelles» était mise en péril par la loi spéciale. Pour sa part, le bâtonnier du Québec, Me Gilles Ouimet, a affirmé que cette loi démontrait clairement l'importance relative que le gouvernement du Québec accorde à la justice.