Le Conseil supérieur de la langue française (CSLF) va lancer un pavé dans la mare du Parti québécois: il estime que ce serait une erreur d'assujettir les cégeps aux dispositions de la loi 101. Les francophones et les allophones devraient pouvoir y poursuivre leurs études en anglais s'ils le désirent.

Le Conseil a pris sa décision il y a une dizaine de jours, a appris La Presse. Plus récemment, son président, Conrad Ouellon, a discuté de l'orientation générale de la «prise de position» de l'organisme avec d'autres spécialistes des questions linguistiques.

Selon la porte-parole Mireille Gagné, la rédaction de l'avis du Conseil n'est pas terminée, mais ses membres sont unanimes. Pour en arriver à cette décision, le Conseil a examiné des statistiques récentes sur les transferts du secondaire francophone vers les cégeps anglophones et a conclu qu'il n'y a «pas d'exode», résume-t-on.

Le Conseil estime en outre qu'il serait difficile de justifier qu'on impose à des adultes le choix de leur langue d'enseignement. De plus, certains membres ont fait valoir que l'enseignement primaire et secondaire est couvert par la Constitution canadienne. Tout empiétement sur l'enseignement supérieur ouvrirait en revanche la porte à une contestation judiciaire.

Proposition principale du PQ

En juin dernier, le Parti québécois a inscrit dans sa «proposition principale» (le canevas de son programme électoral) qu'il faudrait imposer au secteur collégial les mêmes critères d'admission qu'au primaire et au secondaire. La loi 101 prescrit actuellement que, pour qu'un enfant puisse fréquenter le réseau scolaire anglophone, au moins un de ses parents doit avoir étudié en anglais. Le député péquiste de Borduas, Pierre Curzi, a amorcé une campagne soutenue pour s'assurer que le PQ ne change pas d'idée. Du côté des députés, la chose semble entendue; Pauline Marois s'est prononcée il y a longtemps en faveur de l'assujettissement des cégeps à la loi 101.

Certains collègues de M. Curzi, notamment Sylvain Simard et Marie Malavoy, sont d'avis contraire, mais leur position n'a pas même franchi l'étape de l'atelier lors du congrès régional de la Montérégie, au début de février. La question devrait être scellée au congrès du PQ, à Montréal, à la mi-avril.

Crédibilité inattaquable

Mais la prise de position du Conseil, qui devrait être publiée le 5 ou le 6 avril, selon Mme Gagné, viendra donner des munitions aux partisans du statu quo. Personne au PQ ne pourra critiquer la crédibilité de l'organisme: dans le débat sur les «écoles passerelles», l'an dernier, le Conseil avait préconisé l'application de la loi 101 aux écoles privées non subventionnées. Or, c'était exactement ce que souhaitait le Parti québécois. La ministre responsable de la Charte de la langue française, Christine St-Pierre, s'était ainsi trouvée contredite par son organisme-conseil, passé dans le camp adverse. Le critique du PQ en matière linguistique, Pierre Curzi, aura du mal à discréditer l'organisme qu'il avait porté aux nues.

Les statistiques montrent que ce sont surtout des élèves francophones qui optent pour le cégep en anglais. Selon les chiffres de la Fédération des cégeps, en 2008, il y avait 7479 élèves francophones dans le réseau anglais, et 6990 allophones. C'était une première puisque, jusqu'alors, il y avait toujours eu plus d'allophones que de francophones. En 2010, le réseau anglais comptait 6788 francophones (soit un élève sur quatre) et 5561 allophones. Un élève sur deux était anglophone (13 767 inscriptions).

Mais un élève allophone sur deux opte pour l'anglais au cégep. Selon le député Curzi, 75% de ceux qui font ce choix finissent par adopter l'anglais comme langue de travail. À son avis, il est incohérent de «franciser en aval alors que le cégep anglicise en amont».

Depuis 2005, le nombre d'élèves francophones dans les cégeps anglais a augmenté de 40% tandis que le nombre d'allophones a reculé de 5%. Dans le réseau français, le nombre d'allophones a augmenté de 21%. La Fédération des cégeps s'oppose à l'élargissement de la loi 101 au collégial.