Lancé en 2006, l'ambitieux projet d'informatisation des dossiers de santé de tous les Québécois (DSQ) «est un échec», tranche le vérificateur général du Québec dans un rapport qu'il a remis hier à l'Assemblée nationale. Des centaines de millions ont été dépensés inutilement puisqu'une partie seulement du programme, qui coûtera davantage que les 563 millions prévus, pourra être utilisée.

«Les coûts, la portée et l'échéancier du projet ne seront pas respectés», écrit Renaud Lachance, qui estime que les changements apportés au fil du temps par le ministère de la Santé sont si fondamentaux «que le projet sous sa forme définie à l'origine n'existe plus et, en ce sens, est un échec».

Le projet devait permettre à 95 000 utilisateurs potentiels de consulter les bilans de santé, les radiographies et les ordonnances des Québécois. Il devait être prêt en 2010; le ministre Yves Bolduc a annoncé il y a quelques semaines qu'il faudrait... cinq ans de plus.

La Presse a obtenu la liste des contrats, d'une valeur globale de 384 millions de dollars, déjà alloués pour ce projet. Quatre ans après le lancement du DSQ, seulement le quart de ces contrats (valeur de 100 millions) étaient terminés. Bell Canada a obtenu pour environ 100 millions de contrats d'achat d'équipement et de services-conseils. Sa filiale Bell Xwave s'est taillé la part du lion avec 81,5 millions pour le «déploiement provincial du Visualiseur», une opération qui ne se fera jamais, si on en croit le rapport du vérificateur, puisque sa mise au point a tant tardé qu'elle «ne tient plus la route» et ne servira qu'une clientèle «limitée et temporaire».

Changement de cap

Interrogé sur le DSQ en point de presse, M. Lachance a expliqué que, après quatre ans de travail, le ministère de la Santé avait carrément changé de cap. Au lieu de créer une base de données unique qui pourrait être consultée partout au Québec, on s'est rabattu sur la solution qu'avaient choisie toutes les autres provinces, l'arrimage des systèmes qui existaient déjà.

M. Lachance montre aussi du doigt les nombreux changements de responsable dans ce projet. Six dirigeants se sont passé le relais depuis le début; or, «la stabilité des équipes (...) est un élément essentiel pour la réussite», relève-t-il.

En tout, l'informatisation des dossiers santé coûtera plus de 1,4 milliard de dollars, soit les 563 millions déjà prévus pour le DSQ et 900 millions pour l'ensemble des plateformes «dossier patient électronique» qui apparaîtront en région. Selon M. Lachance, il est clair que des portions importantes du DSQ ne pourront être récupérées.

Surtout, le financement fédéral du projet risque de manquer à l'appel. Infoway Canada devait payer 50% des factures pour des systèmes qui fonctionnent. Or, le Québec n'a reçu jusqu'ici que 38% de ce à quoi il s'attendait. Il est dans le peloton de queue avec le Yukon et le Nunavut à ce chapitre. Les autres provinces ont déjà, en moyenne, obtenu 74% du remboursement attendu d'Ottawa.

Le vérificateur s'interroge sur la transparence du Ministère, qui, tout en étant informé qu'il risquait fort de dépasser ses budgets, a soutenu publiquement que les risques de dépassement étaient faibles.

Projet différent

Malmené par le PQ et l'ADQ à l'Assemblée nationale, le ministre Yves Bolduc a reconnu que le projet était différent («il faut rajuster notre stratégie»), mais il a soutenu que l'implantation du «dossier patient électronique» se déroulait normalement dans le réseau. Tous ces projets, partout dans le monde, sont «complexes», a-t-il dit.

«Cela fait deux ans que le ministre dit que tout va bien, a dit Agnès Maltais, critique péquiste en matière de santé. Le vérificateur général dit que c'est un échec et coûtera en définitive 1,4 milliard! Cela devait être fonctionnel en 2010. Le ministre Philippe Couillard avait choisi la mauvaise stratégie, et le ministre vient juste de changer de cap.»

En outre, avec ce changement, le ministère de la Santé prévoit désormais qu'environ 50 millions attendus d'Infoway ne pourront être décaissés par Ottawa. «On va perdre 50 millions parce qu'on est des cancres», a lancé le député adéquiste François Bonnardel.