Les environnementalistes s'inquiètent que Québec ne se soit pas dissocié du communiqué final de la rencontre fédérale-provinciale des ministres de l'Énergie et des Mines cette semaine à Kananaskis, en Alberta.

Adopté mardi, le texte affirme que «les sables bitumineux de l'Alberta sont une source d'énergie fiable, durable et importante pour approvisionner la planète». Le Québec a donné son accord à ce texte, a confirmé le cabinet du ministre fédéral des Ressources naturelles, Joe Oliver. Il ne s'agit toutefois pas d'un texte signé par les ministres.

Seul l'Ontario s'en est dissocié. «Nous n'étions pas à l'aise avec la formulation, qui disait que les sables bitumineux étaient durables et responsables», a expliqué le ministre ontarien de l'Énergie, Brad Duguid, au Globe & Mail.

L'Ontario n'avait envoyé qu'un sous-ministre à la rencontre.

«Le Québec aussi aurait du s'en dissocier», croit Daniel Breton du groupe Maîtres chez nous 21e siècle (MCN21). Pierre-Olivier Pineau, spécialiste en politiques énergétiques aux HEC, partage cet avis.

«Ça m'a beaucoup étonné que le Québec ne prenne pas ouvertement ses distances du communiqué», renchérit Ed Whittingham, directeur exécutif de l'Institut Pembina, un groupe environnemental.

«Si la ministre (des Ressources naturelles, Nathalie) Normandeau appuie les sables bitumineux, cela constituerait un précédent dangereux, estime Steven Guilbeault d'Équiterre. Le fédéral pourrait s'en servir pour promouvoir leur développement.»

Mme Normandeau, qui représentait le Québec à la rencontre, a réagi en distinguant le communiqué de presse du plan d'action adopté par les participants. «Le passage sur les sables bitumineux n'apparaît nullement pas dans le plan d'action», indique-t-elle.

Mais croit-elle que les sables bitumineux constituent une source d'énergie durable? La ministre a finalement contredit le communiqué depresse après-midi. «On ne peut pas parler de caractère durable pour une ressource comme le pétrole, c'est clair. Cependant, l'industrie des sables bitumineux déploie énormément d'efforts pour améliorer ses procédés et techniques sur le plan environnemental», a-t-elle répondu.

Le passage sur les sables bitumineux n'apparaissait pas dans les premières versions du communiqué. M. Guilbeault se demande si Ottawa et l'Alberta «en ont passé une petite vite» aux autres provinces.

MM. Guilbeault et Whittingham s'étonnent aussi de certains autres documents de la rencontre. Pour justifier la demande pour les sables bitumineux, on se base sur les prédictions du «statu quo» de l'Agence internationale du climat - celles qui prévoient qu'aucun gouvernement ne changera ses politiques énergétiques déjà en vigueur. Même les changements réglementaires déjà annoncés mais pas encore en vigueur sont écartés. Selon ce scénario, la température moyenne de la planète augmentera de 6 degrés Celsius dans le prochain siècle, ce qui déclencherait des «catastrophes». Le Canada se range pourtant derrière la position adoptée à Copenhague, qui veut limiter le réchauffement à 2 degrés Celsius.

La pression des pétrolières

La rencontre des ministres était en partie payée par les subventions de l'Association canadienne des producteurs pétroliers et le Oil Sands Developers Group. Ils ont fait des présentations aux ministres. «Les groupes environnementaux n'avaient pas cet accès. On peut se poser des questions éthiques à ce sujet», dit M. Guilbeault.

Pierre-Olivier Pineau note toutefois que les pétrolières avaient des demandes environnementales plus proactives que les ministres. «L'Institut canadien de politique énergétique, composé de pétrolières, demandait aux gouvernements de mettre un prix sur le carbone et d'implanter rapidement des politiques transitoires pour instituer un marché du carbone. Mais il n'y a aucune mention de cela dans le plan d'action ou le communiqué final», souligne-t-il.

La ministre Normandeau ne s'en indispose pas. «C'est normal. C'est parce que les provinces et territoires n'étaient pas toutes rendues au même niveau (concernant un marché du carbone)».

La Colombie-Britannique a déjà une taxe sur le carbone. L'Alberta dispose d'un marché du carbone «incomplet», note M. Pineau. Celui du Québec entrera en vigueur officiellement en 2013. «Le plan d'action n'est définitif, il va évoluer. Et le Québec va jouer un rôle de leader pour que les autres provinces l'imitent», assure Mme Normandeau.

Elle ajoute que le ministre de l'Environnement, Pierre Arcand, exercera le même rôle auprès de ses homologues canadiens.

Le plan d'action adopté à Kananaskis constitue un «cadre de collaboration». Il énonce de grands principes appliqués de façon volontaire. Le ministre fédéral, Joe Oliver, souhaiterait que cela débouche sur une stratégie nationale, contraignante et avec des normes chiffrées. Le Québec s'y oppose, par crainte que le fédéral n'empiète sur ses compétences constitutionnelles. Mme Normandeau n'estime pas qu'elle a ouvert la porte à une telle stratégie. «L'Alberta souhaitait qu'on se dirige vers une telle stratégie, mais on a réussi à les convaincre d'en rester à un cadre.», raconte-t-elle.

«Une stratégie nationale ne serait pas forcément une mauvaise chose, réagit Steven Guilbeault. Avant de se prononcer, il faudrait savoir en quoi consisterait cette stratégie. Si c'est pour développer encore plus les sables bitumineux, alors ce serait bien sûr une mauvaise chose.»

Ce cadre reçoit un accueil mitigé des environnementalistes. Par exemple, l'Institut Pembina se félicite qu'on promeuve l'efficacité énergétique et le développement de technologies vertes. Mais outre les sables bitumineux, plusieurs autres volets inquiètent. «On parle d'étudier chaque projet individuellement. C'est le contraire de ce qu'il faut faire ! On a besoin de normes claires et prévisibles», lance M. Breton.

Il souligne que l'approche du projet par projet semble entre autres conçue pour autoriser rapidement deuxprojets de pipeline qui acheminerait le pétrole des sables bitumineux vers les ports de la Colombie-Britannique, et ultimement vers le marché asiatique.

«Bien sûr, il y a beaucoup de belles intentions, mais je préfère juger l'arbre à ses fruits. On parle de changer le code du bâtiment mais on ne bouge pas depuis plusieurs années. En plus, on coupe dans la recherche et développement. Ça n'aide certainement pas l'innovation.»