Plus de 30 ans après l'adoption de la loi 101, Québec s'apprête à lancer une nouvelle campagne en faveur de la francisation des raisons sociales des entreprises dans la province.

La campagne, qui s'amorcera cet automne, visera les grandes compagnies étrangères qui souhaitent percer le marché québécois.

L'Office québécois de la langue française (OQLF) craint que les multinationales et leurs raisons sociales anglaises finissent par miner le statut de société francophone de la province si elles ne sont pas surveillées.

«À cause de la mondialisation, les grandes surfaces viennent de plus en plus s'installer au Québec où elles utilisent leur marque de commerce (en anglais)», a expliqué la présidente-directrice générale de l'OQLF, Louise Marchand, en entrevue avec La Presse Canadienne.

«Elles veulent que leur nom soit partout le même et ça se comprend. Mais ce n'est pas conforme à la loi.»

Il s'agit d'une vieille bataille pour l'OQLF, qui s'est vu confier la mission de faire respecter la Charte de la langue française après qu'elle eut été adoptée en 1977.

La version originale de la loi 101 stipulait que l'affichage au Québec devait se faire uniquement en français. Les compagnies avaient jusqu'au 1er septembre 1981 pour s'y conformer.

Cette exigence avait toutefois été annulée par la Cour suprême du Canada en 1988.

Mais le gouvernement du Québec avait alors choisi d'ignorer le jugement en évoquant la disposition de dérogation, provoquant un tollé parmi les anglophones de la province.

Ce n'est qu'en 1993 que le Parti libéral du Québec, alors au pouvoir, modifia la Charte de la langue française afin qu'elle respecte la décision de la Cour suprême.

S'ils permettaient la présence d'autres langues dans l'affichage, les changements apportés précisaient toutefois que le français devait y être clairement prédominant.

De manière générale, l'OQLF interpréta cette directive comme étant l'obligation pour les entreprises d'avoir des affiches où les mots en français étaient deux fois plus gros que ceux dans les autres langues.

Cela donna naissance à une série de caricatures montrant les représentants de l'OQLF patrouillant les rues de Montréal avec une règle à la main afin de mesurer la taille des lettres sur les enseignes.

Cette «police de la langue» fut fréquemment tournée en dérision par les satiristes anglophones et le romancier Mordecai Richler durant les années 1990, période où les tensions entre les deux solitudes étaient plutôt fortes.

Aujourd'hui, les luttes linguistiques ont délaissé l'affichage au profit de l'éducation. Mais la popularité de l'Internet, des réseaux sociaux et des nouvelles technologies ont poussé l'OQLF à surveiller de plus près la présence de l'anglais.

«Nous sommes perméables aux influences qui viennent de partout. Il n'y a plus de frontières nulle part, sur le plan commercial comme sur le plan culturel», a déclaré Mme Marchand.

«Alors, c'est d'autant plus important de préserver le caractère spécifique du français et de la communauté québécoise.»

L'OQLF s'inquiète tout particulièrement des nombreuses entreprises étrangères qui ouvrent des succursales au Québec sans toutefois adapter leur raison sociale au contexte québécois en y ajoutant un générique en français lié au type de produits ou de services qu'elles offrent.

Louise Marchand a refusé de nommer des compagnies qui contrevenaient à la Charte, mais a cité quelques exemples de noms conformes, dont Lunetterie New Look, Rôtisseries Scores et Farine Five Roses.

La présidente-directrice générale de l'OQLF a déjà commencé à rencontrer les organisations patronales afin de convaincre les compagnies des avantages qu'elles retireraient en faisant le changement elles-mêmes.

«Nous pensons que c'est un atout pour ces entreprises de parler aux consommateurs dans leur langue», a-t-elle affirmé.

«Nous ne leur demanderons pas de le faire d'ici deux mois. Nous allons leur donner des délais raisonnables. Mais il reste que nous devons appliquer la Charte.»

D'après Mme Marchand, environ 25 pour cent des plaintes reçues par l'OQLF concernent l'affichage, De ce nombre, seulement deux pour cent sont transmises aux procureurs de la Couronne.