Le premier ministre Jean Charest dit «comprendre parfaitement l'impatience des Québécois» et reconnaît donc que les enquêtes policières dans l'industrie de la construction tardent à aboutir. Mais l'attente tire à sa fin.

Des sources fiables ont confié à La Presse que l'Unité permanente anticorruption (UPAC) fera bientôt des arrestations. «On ne parle pas de mois, mais bien de semaines», précise-t-on. Le coup de filet sera «plus important» que celui du début de 2011. Sept personnes avaient alors été arrêtées et accusées sous vingt-huit chefs de fraude et d'abus de confiance.

Cette fois, des visages connus du secteur de la construction seront touchés. On pourrait même frapper le secteur syndical. L'UPAC «ratissera assez large», dit-on. Mais il ne semble pas y avoir de ramifications politiques. «Robert Lafrenière [le patron de l'UPAC] veut des résultats le plus tôt possible», résume-t-on. Les enquêtes doivent «aboutir prochainement».

L'offensive sera la conséquence d'enquêtes entreprises bien avant la création de l'UPAC: l'opération Dorade remonte à l'automne 2008. L'opération Béquille, qui a mené à des perquisitions au printemps dernier, est désormais terminée. Elle vient d'apparaître sur la place publique et touche une firme de construction de Terrebonne, Exekut.

Sur le terrain, les enquêtes Étau et Grattoir vont aussi donner des résultats à la suite de perquisitions réalisées au printemps dernier. Pour l'essentiel, il s'agit d'entrepreneurs en construction qui ont consenti à faire des factures de complaisance pour éluder l'impôt, un stratagème dont bénéficient les organisations criminelles, qui, à titre d'intermédiaires, reçoivent une commission.

Le patron de l'Unité anticollusion du ministère des Transports, Jacques Duchesneau, témoignera en commission parlementaire mardi ou mercredi prochain. Les libéraux tenaient à ce qu'il comparaisse dès vendredi, mais les partis d'opposition voulaient davantage de temps pour se préparer. M. Duchesneau viendra présenter officiellement aux députés le rapport dont La Presse et Radio-Canada ont diffusé des extraits la semaine dernière.

Ce rapport a donné des munitions à l'opposition pour la reprise des travaux de l'Assemblée nationale, hier. Pauline Marois a adopté un ton solennel pour réclamer la démission de Jean Charest: «Le premier ministre doit partir. Son refus de tenir une enquête publique devient carrément inexplicable, inexcusable, inconcevable et injustifiable, a-t-elle affirmé. Le premier ministre a placé les intérêts du Parti libéral avant ceux du bien commun.» Elle a rappelé que, dans son rapport, l'Unité anticollusion dit avoir «découvert un univers malsain et bien enraciné d'une ampleur insoupçonnée, néfaste pour notre société».

Jean Charest a répliqué en citant un autre extrait du rapport, qui dit: «Le tout garde encore un caractère exploratoire et demande à être complété, notamment à l'occasion d'autres rencontres. Nous croyons donc prudent de ne pas généraliser sur cette base ou d'en tirer des conclusions hâtives.»

«Ça a été avantageux pour moi de lire le rapport, monsieur le président. Ça a été une bonne idée de le faire», a-t-il lancé sur le ton de l'humour. Rappelons qu'il avait essuyé de nombreuses critiques, vendredi dernier, lorsqu'il a admis qu'il n'avait pas lu le rapport qu'il était pourtant en train de commenter. Il a défendu une fois de plus la décision de privilégier les enquêtes policières.

Pauline Marois a souligné que, 24 mois après la création de l'escouade Marteau - maintenant intégrée à l'UPAC -, «il n'y a personne en prison, l'impunité règne au Québec».

«Je comprends parfaitement l'impatience des Québécois, depuis le temps que ce sujet-là a été soulevé», a reconnu M. Charest. Il s'est toutefois voulu rassurant: «Nous nous attaquons à la corruption dans le domaine de la construction et nous allons arriver à de bons résultats parce qu'on veut amener les gens devant les tribunaux. Ça prend de la preuve pour y arriver. On va chercher la preuve. Ces gens-là seront amenés devant les tribunaux et condamnés.»

Le premier ministre jouit de toute évidence de l'appui de ses députés. Trois d'entre eux ont indiqué à La Presse que, lors d'une réunion à huis clos, hier, nul ne s'est opposé à la décision de ne pas ouvrir d'enquête publique. Quelques-uns se sont toutefois dits inquiets du mécontentement de la population et se sont montrés impatients d'assister à un grand coup de filet de l'UPAC.

Lors de la période des questions, le PQ a relevé deux dépassements de coûts qui pourraient selon lui constituer des «extras», le système de surfacturation mis en lumière dans le rapport de l'UAC. En juillet 2010, le ministère des Transports a accordé une rallonge de 2,2 millions au consortium Genivar-CIMA "-Dessau-Soprin pour l'avant-projet (plans et devis) des autoroutes 15 et 640. C'est une «explosion des coûts de 60%», a lancé Nicolas Girard, porte-parole en matière de transports. «Est-ce causé par le système d'extras?»

Le Ministère a aussi autorisé en novembre dernier un dépassement de 2,6 millions dans un contrat initial de 19,8 millions pour réaménager cet échangeur. Cette fois, l'entreprise était Simard-Beaudy Construction, qui appartient à Tony Accurso.

Le nouveau ministre des Transports a dénoncé ces allégations qui ne sont selon lui fondées «sur aucun fait». Il explique que les dépassements de coût relèvent d'une décision administrative, et non politique.

Dans une intervention cinglante, le député indépendant Jean-Martin Aussant a demandé si, outre les 75 000$ par année qu'il recevait du PLQ jusqu'à tout récemment, Jean Charest reçoit un salaire ou un autre avantage en plus de sa rémunération de premier ministre. Le leader du gouvernement, Jean-Marc Fournier, a répliqué que M. Charest «ne reçoit que son salaire et n'a pas d'autre avantage».

Le député de Québec solidaire, Amir Khadir, et sept députés indépendants ont demandé en vain un débat d'urgence sur le rapport Duchesneau et la «crise de confiance majeure» qui en découle. Le président de l'Assemblée nationale, Jacques Chagnon, a estimé que l'urgence de ce débat n'avait pas été prouvée. Ce n'est que partie remise puisque le PQ compte présenter aujourd'hui une motion afin d'exiger une enquête publique - la huitième en deux ans.