Un nouvel organisme, auquel participe un représentant du gouvernement québécois, collabore avec des firmes de prospection d'uranium dans les monts Otish sous le nom d' «Institut Hubert-Reeves», selon des documents consultés par La Presse. Pourtant, M. Reeves, auteur de plusieurs ouvrages d'écologie, critique de plus en plus la filière nucléaire.

C'est vers les monts Otish que le gouvernement Charest veut prolonger la route 167, au nord de Chibougamau, dans le cadre du Plan Nord. La route se rendra jusqu'à la mine de diamants de Stornoway, mais elle traversera d'abord une région convoitée par des sociétés minières actives dans la prospection et l'exploitation de l'uranium, un minerai hautement controversé.

Pierre Verpaelst, directeur général du développement de l'industrie minérale au ministère des Ressources naturelles, siège sur le conseil d'administration de l'Institut Hubert-Reeves. Le président du conseil, Serge Genest, est un des principaux géologues qui a découvert le potentiel des gisements d'uranium dans les monts Otish et dans l'Ungava.

M. Genest est prospecteur d'uranium depuis plusieurs années, souvent avec le soutien de sociétés actives dans la filière nucléaire, comme la junior Strateco ou le géant français Areva. Dans un mémoire adressé au gouvernement du Québec, en 2005, il faisait valoir les retombées économiques que pourrait entraîner l'enfouissement des déchets nucléaires dans la province.

Le nucléaire est incontournable pour maintenir le bilan énergétique de l'humanité dans l'avenir, écrivait-il alors. Les bassins de Mistassini et d'Otish présentent un potentiel uranifère que je n'hésite pas à qualifier d'excellent. Autre indicateur favorable au nucléaire, des groupes québécois s'affairent actuellement à préparer des projets de stockage de résidus radioactifs. Il est bon de rappeler que cette industrie génère des emplois de haut standard.»

Débuts de l'Institut

L'Institut Hubert-Reeves a été fondé en 2009, officiellement pour ouvrir un musée de l'astroblème de Charlevoix, aux Éboulements, ainsi qu'un parc géologique. Cet astroblème (ou cratère) a été créé par l'impact d'une grosse météorite, il y a 340 millions d'années. Hubert Reeves, un astrophysicien mondialement reconnu, a accepté de lui donner son nom.

Cet organisme à but non lucratif cherche à obtenir un financement de 15 millions auprès du secteur privé et des gouvernements provincial et fédéral. Il n'a toujours pas ouvert de musée. Pour l'instant, il est situé à Crabtree, près de Joliette, à la même adresse que le Groupe Omégalpha, une entreprise de services conseils en exploitation minière. Omégalpha, également dirigé par M. Genest, se spécialise plus particulièrement dans l'uranium.

Dès sa création, une équipe de chercheurs de l'Institut a procédé à des travaux de terrain dans les monts Otish avec le soutien financier de Groupe Omégalpha et de Ressources Abitex, une autre entreprise de prospection d'uranium qui possède des titres miniers dans le nord du Québec.

Des chercheurs de l'Institut ont aussi effectué des travaux dans l'astroblème de Carswell, en Saskatchewan. L'année dernière, M. Genest a publié les résultats de ces recherches dans une revue de géologie et remercié pour l'occasion la société Areva, le géant français de l'uranium, pour son soutien financier.

En octobre 2010, l'Institut Hubert-Reeves présentait son plan d'affaires lors d'une conférence de presse dans Charlevoix. M. Genest annonçait alors la volonté de l'Institut d'organiser un «Symposium international de l'énergie nucléaire».

Mis au courant de ce projet, Hubert Reeves a envoyé une lettre à l'Institut, l'obligeant à la publier sur son site internet. «L'Institut ayant uniquement pour objectif l'amélioration de la connaissance scientifique, la recherche et la vulgarisation, toute autre activité, par exemple de promotion d'une technologie ou d'un processus industriel, outrepasserait l'interprétation des statuts qui m'a amené à accepter de [lui] donner mon nom», écrivait-il.

L'Institut n'en a pas moins poursuivi ses activités de lobbying. Il y a deux mois, il présentait un mémoire au ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs «dans le cadre de sa consultation publique sur le plan Nord». L'Institut demandait la possibilité de poursuivre des forages dans le territoire visé par le projet de parc national Albanel-Témiscamie-Otish.

Le mémoire indique que «les travaux de recherche en cours devraient permettre de fournir aux sociétés minières de nouveaux guides pour orienter leur prospection dans cette grande région du Québec, contribuant ainsi à vitaliser l'économie de Chibougamau et de Mistissini».

La Presse a tenté, mais sans succès, de joindre Serge Genest et Hubert Reeves, qui habite Paris.

Dans son livre Mal de terre (2003), M. Reeves explique qu'il a d'abord été favorable à l'énergie nucléaire, mais qu'il a fini par changer d'avis. Cette année, après l'accident de la centrale de Fukushima au Japon, il s'est montré très critique envers cette filière.

Ce conflit entre la sécurité et le profit est pour moi une des raisons pour laquelle je pense que le nucléaire est une activité trop dangereuse pour être confiée aux «humains trop humains», pour reprendre l'expression de Nietzsche, a-t-il déclaré à La Vie, un hebdomadaire chrétien français. On ne laisse pas les enfants jouer avec les allumettes.»

M. Reeves a aussi signé la préface du livre Déchets nucléaires, écrit par une journaliste du quotidien parisien Libération. «Il faut progressivement abandonner le nucléaire et le remplacer par les énergies renouvelables», a-t-il déclaré il y a deux semaines au quotidien français Le Républicain Lorrain

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