Carrément «virés» par leur parti politique, les militants adéquistes se feront «humilier» aujourd'hui avec la fusion de leur parti et de la Coalition avenir Québec de François Legault, prévient Jean Charest. Les adéquistes n'embrassent pas un parti politique, «ils adhèrent à un sondage», renchérit le chef libéral.

Dans son bureau de Montréal, Jean Charest multiplie les entrevues de fin d'année, un passage obligé avant les Fêtes. Visiblement détendu, il a pris de l'embonpoint. Surtout, il est à l'aube d'une année d'incertitude. «Ne me demandez pas quand seront les prochaines, élections, franchement, je ne le sais pas», laisse-t-il tomber. Mais au fil de la conversation, on comprend qu'il n'envisage pas de se lancer en piste avant l'été 2012.

Pour l'heure, sa cible est devant lui, immédiate. Ce matin, François Legault et Gérard Deltell annonceront la fusion de leurs partis. Or, le nouveau mariage contient déjà le ferment du divorce attendu, selon lui. «Le parti de François Legault est construit sur un malentendu, il est un souverainiste de gauche, il se décrit comme tel. Et voilà qu'il obtient l'appui de populistes de droite... Il y aura un questionnement, il faudra le tester», observe M. Charest. Déjà, il paraît clair que le premier ministre n'a pas l'intention de se précipiter pour lancer une campagne qui prendrait la CAQ de court; on verra les fissures de la CAQ «à l'usure», laisse-t-il tomber. Il va attendre que l'engouement pour la CAQ, vérifiable dans les sondages, s'essouffle.

Il souhaite voir François Legault retourner à l'Assemblée nationale rapidement - le chef de la CAQ avait d'abord dit qu'il voulait se faire élire rapidement, avant d'indiquer préférer attendre des élections générales. Si l'un de ses députés lui cédait son siège, Jean Charest est prêt à ne pas présenter de candidat pour faciliter son élection. Les libéraux n'avaient pas présenté de candidat contre Pauline Marois en 2007, mais l'ADQ avait brisé cette tradition non écrite de ne pas entraver l'arrivée d'un chef de parti à l'Assemblée nationale. Ce que Jean Charest ne dit pas, c'est qu'ainsi, le PLQ éviterait un test qui pourrait être difficile, une complémentaire dans le 450.

À propos de sa stratégie, la ligne de Jean Charest ne diffère guère du «on verra» de François Legault. «Il faut attendre et voir. J'ai appris à tout prendre en temps et lieu; dans le cas de M. Legault, il aura l'occasion de mettre ses propositions à l'épreuve de la réalité.»

Au passage, il se fait incisif à l'endroit des adéquistes. «C'est pour eux et pour M. Deltell une journée humiliante. Ceux qui ont milité pour l'ADQ pendant des années se font virer. On va assister aux funérailles d'un parti et à la prise de contrôle de François Legault.» Le nouveau chef «vire le comité exécutif, les militants, les associations de circonscription et va choisir lui-même les candidats», du jamais vu en politique québécoise. Dans le flot des attaques, prévisibles et répétées, un doute tout à coup. Un libéral pourrait-il traverser la Chambre? «Je n'ai aucun indice en ce sens, répond-il prudent. Les Québécois s'attendent à des élections quand on aura fait le tour de ce qu'on avait comme programme.»

Or, la fin des engagements de 2008 est encore loin. La conclusion de l'accord de libre-échange Canada-Europe pourrait se faire à la fin de 2012. La mise en oeuvre du Plan Nord est déjà amorcée. Les ententes sur les transferts fédéraux s'étendent jusqu'en 2014.

Il s'esclaffe quand on lui dit que l'année aura été «fertile en rebondissements», selon la formule convenue. Vendredi, au parlement, les journalistes lui ont demandé comment il «préparait sa succession», une question à laquelle il n'était visiblement pas préparé.

La commission Charbonneau a causé plus que sa part de maux de tête à Jean Charest cet automne. Maintenant, il refuse d'en commenter le programme et ne veut pas même dire si la juge pourrait tenir ses audiences en même temps qu'une campagne électorale. «Je ne dirai rien qui pourrait faire croire que je veux intervenir», martèle-t-il. L'annonce manifestement improvisée est derrière lui; hier, il a feint ne pas se souvenir qu'il avait repoussé un mercredi ce qu'il allait annoncer deux jours plus tard. Vendredi, il a déclaré: «On a fait du mieux qu'on pouvait», ce qui est le plus près de l'admission d'une erreur dans le code de Jean Charest. «On a bien tenu sur l'essentiel, l'économie, c'est ce qui rend tout le reste possible...»

Sur quoi porterait un nouveau mandat - un quatrième consécutif, un jamais vu depuis Duplessis? «Sur l'économie. Il y a beaucoup à faire... je suis inquiet de ce que je vois sur l'écran radar en 2012», prévient-il. Comme en 2008, pas question pour lui de prédire «avant que les chiffres sortent» les pertes de la Caisse de dépôt - tous les organismes déposants ont pourtant un bilan mensuel des perspectives.

Dès le début de l'année, il se rendra dans le Nord québécois en compagnie de Régis Labeaume, maire de Québec familier du secteur minier. Par la suite, une tournée des régions, sorte de «salon du Plan Nord» itinérant, permettra de mettre en contact l'industrie locale et les multinationales minières. «Pour qu'on puisse tirer le maximum de retombées, il faut faire cette connexion avec le Nord et le Sud», explique M. Charest.

En matière de santé, il prend avec un grain de sel les observations de l'Institut Fraser qui constate que les temps d'attente pour les opérations se sont allongés au Québec. Les patients doivent désormais attendre en moyenne 19,9 semaines pour se faire opérer, 1 de plus que l'an dernier. «On a un phénomène de vieillissement de la population, lance-t-il spontanément, avant de rappeler que, selon le ministère de la Santé, 92% des gens se font opérer «dans les délais». De façon générale, «le système de santé fonctionne assez bien», insiste-t-il. «On a dans l'ensemble un bon système de santé, personne ne pense qu'on sera dans les vallées verdoyantes, mais la situation s'est améliorée», observe-t-il.

Par ailleurs, Jean Charest admet constater «un relâchement» de la défense du français à Montréal. «On le voit à certains endroits, il faut faire des rappels à l'ordre, dire que c'est en français que cela se fait», répond-il quand on lui rappelle la demande de Bombardier Aéronautique d'augmenter de 1500 le nombre de ses employés qui peuvent travailler en anglais uniquement.

En matière de langue, «au Québec, il y aura toujours une bataille à faire. Il faut faire des rappels à l'ordre constamment».

Le gouvernement Harper a multiplié les nominations d'anglophones unilingues à la Cour suprême ainsi que, plus récemment, au poste de vérificateur général. Avec le projet de loi C-10 sur la répression du crime, il a soulevé un tollé partout au pays, mais surtout au Québec. Jean Charest juge «inacceptables» ces nominations de gens qui ne peuvent s'adresser dans leur langue aux électeurs francophones. Mais il ne veut manifestement pas croiser le fer là-dessus avec Ottawa. «On ne peut qu'exprimer notre désaccord. Ce n'est pas à la hauteur de ce que le Canada devrait faire», soutient-il.

«Il y a toujours une tension entre le fédéral et les provinces. Mais en 2011, on a réglé le contentieux sur Old Harry qui durait depuis des décennies», observe-t-il. Par ailleurs, Québec a obtenu les 2 milliards attendus comme compensation pour avoir harmonisé sa taxe de vente à la TPS fédérale, dans les années 90. «Quand on n'est pas d'accord, on ne se prive pas de le dire, on n'a pas d'états d'âme dans nos relations avec le fédéral», dit M. Charest. «Il ne faut pas être manichéen avec ça et faire croire comme le PQ que c'est le Canada contre le Québec», conclut-il.