Ancien journaliste, Gérard Deltell était déjà un improbable politicien. Et un chef de parti totalement inattendu.   Deltell est probablement le plus fédéraliste de tous les élus à l'Assemblée nationale, Jean Charest inclus. Le plus conservateur aussi; la rebuffade du Québec à Stephen Harper, le 2 mai, lui est restée dans la gorge.

À la fin juin, le chef de l'ADQ est monté à Montréal dans sa grosse Chrysler pour se rendre à Outremont, chez François Legault, l'ancien ministre péquiste. L'adéquiste était terrorisé à l'idée d'être vu dans un endroit public avec Legault. Deltell l'avait bien connu au Parlement: un souverainiste pure laine, le plus impatient des indépendantistes au PQ.  

Six mois plus tard, et deux jours après avoir subi une raclée magistrale dans Bonaventure, Deltell revoit Legault, cette fois avec tous ses députés. La «prise de contrôle» est consommée dans le condo de François Bonnardel qui, depuis longtemps, sait que sa réélection dans Shefford passe obligatoirement par un changement d'allégeance. Mais Deltell se demande encore s'il ne sera pas, aux yeux de l'Histoire, le fossoyeur de son parti. En 1968, le Ralliement national avait fusionné avec le Mouvement souveraineté-association pour former le Parti québécois, mais qui se souvient de son chef, Gilles Grégoire?  

L'ancien créditiste avait tout au moins choisi le nom du PQ, au grand dam de René Lévesque - l'adéquiste n'a même pas pu greffer «démocratique» à l'étiquette de son nouveau parti, lui qui voulait qu'on y retrouve «l'ADN» du parti de Mario Dumont...

La fusion ADQ-Coalition avenir Québec a été annoncée mardi dernier. Dans les coulisses, on savait depuis longtemps que ce serait chose faite «avant le 15 décembre». Deltell avait déjà en poche ses billets d'avion «depuis six mois» pour partir jeudi, confie-t-on à l'ADQ. Seule surprise, le parti, qui devait s'appuyer sur 13 000 membres selon ses officiers, n'en compte en réalité que 2500! Mais Legault reste de glace: les suffrages obtenus en décembre 2008 assurent tout de même à la CAQ des recettes annuelles de 780 000$ en fonds publics.

La CAQ avait prisle volant en mai

Les premiers échanges entre le groupe de François Legault et l'ADQ remontent à mai dernier. Directeur du parti, l'ancien député Christian Lévesque avait enrôlé de nouvelles recrues à l'ADQ, Claude Garcia et Adrien Pouliot. Bon communicateur mais plutôt dogmatique, Claude Garcia avait décidé que ce serait «à droite toute» à l'ADQ. Pour un conseil général à Trois-Rivières, à la mi-mai, il avait préparé une série de propositions costaudes, dont la privatisation d'Hydro-Québec.  

François Bonnardel était déjà bien proche de François Legault, qu'il décrivait comme «un adéquiste au PQ».

Il avait couché avec la mariée bien avant la noce», a dit cette semaine un adéquiste connu. Bonnardel avait discuté d'avenir avec Legault dès l'automne 2010, plusieurs mois avant que ce dernier annonce sa coalition. Le député de Shefford comprend vite que si l'ADQ s'enferre dans cette voie de droite, tout rapprochement avec le groupe de Legault deviendra problématique. «Il trouvait que cela allait beaucoup trop loin», a-t-on résumé cette semaine à la CAQ.

Quelques jours avant le rassemblement adéquiste, la CAQ y prend le volant pour la première fois. Martin Koskinen, le bras droit de François Legault, fait savoir au cabinet de Deltell qu'un virage trop serré à droite rendrait les positions «irréconciliables». «Si vous adoptez ça, François Legault sera forcé de prendre publiquement ses distances», fait savoir Koskinen au chef de cabinet de Deltell, Éric Vachon.  

Début novembre, Gérard Deltell se rend encore une fois chez l'ancien ministre péquiste. Il est nerveux, il doit rencontrer son énorme bureau exécutif (30 personnes) le lundi suivant pour dire essentiellement qu'ils ne participeront pas aux négociations, mais qu'il reviendra avec l'entente de principe qu'il aura pu conclure avec Legault. Claude Garcia, notamment, comprend le message.

Depuis longtemps, les trois députés de l'ADQ avaient ouvert les bras à la CAQ. Du côté de François Bonnardel, l'affaire était entendue depuis longtemps. Le Beauceron Janvier Grondin avait déjà fait savoir qu'il ne se représentait pas. Mais dès le congrès de mai, il a vendu la mèche: «Je peux imaginer François Legault chef de mon parti», a-t-il laissé tomber il y a sept mois.

Reste Sylvie Roy, qui sera plus longtemps réticente devant ce mariage. Elle a plus d'expérience que Bonnardel, elle avait été élue avec Mario Dumont en 2003 et a connu les montagnes russes de la popularité d'un parti, porté au zénith en 2007, puis retourné en enfer un an plus tard. «Elle sait que la popularité d'un parti peut être éphémère», a résumé cette semaine Mario Dumont, son ancien chef.  

Dans l'ensemble, les élus adéquistes trouvent que le mariage met bien du temps à s'organiser. Mais le plan de match de François Legault est réglé comme du papier à musique: pas question de discuter avec un parti politique avant d'être lui-même chef de parti. Rien ne sera définitif avant le lancement de la Coalition avenir Québec, le 14 novembre.

Dernier sprint

Au terme d'un dernier sprint de négociations, le bureau adéquiste disparaît - Legault ne veut pas plus que huit personnes - et des postes sont réservés: Richard Thibault, le responsable des communications à l'ADQ, deviendra vice-président à la CAQ; Bonnardel sera le représentant du caucus au bureau exécutif.

Gérard Deltell devrait quant à lui hériter du poste de chef de l'aile parlementaire de la CAQ alors que Sylvie Roy serait leader de l'aile parlementaire du nouveau parti.

Deltell a obtenu que les dirigeants de la CAQ «[tiennent] compte» d'une liste d'une soixantaine de noms de militants adéquistes de longue date.

Prévoyant des grincements de dents chez ses militants, Deltell et un groupe très restreint de conseillers aimeraient prétendre avoir arraché des gains au terme de leurs discussions avec François Legault. Une «opération sauvage de face» s'enclenche, confiera un membre de la CAQ. Le privé en santé a toujours été au coeur du programme adéquiste. Cette fois, Koskinen mandate le Dr Gaétan Barrette, un candidat éventuel, pour tenter de trouver une piste d'atterrissage acceptable pour tout le monde. Barrette a le mandat d'en donner le moins possible. On teste quelques formules - «le privé au service du public» -, mais surtout on trouve une piste - un projet pilote. Legault est contre l'entrée du privé en santé, Barrette y est tout autant opposé. S'il devient ministre de la Santé, il aura les coudées franches pour annoncer que «l'expérience n'est pas concluante», explique un stratège de la CAQ.

Une autre «condition» de Deltell est encore plus facile à détricoter. En 2007, Mario Dumont avait fait recette avec sa promesse de donner 100$ par semaine aux familles qui gardaient leur enfant à la maison plutôt que d'occuper une place en garderie subventionnée. Une promesse exorbitante, de plus de 600 millionsde dollars. Comptable, Legault sait très bien que cette idée séduisante ne tient pas la route. Pour donner un peu d'oxygène à Deltell, il dira qu'il est prêt à «regarder ça», sans plus. Legault a un autre argument en poche. Il a pris contact avec l'Association des économistes du Québec. Deux membres en vue, Pierre Fortin et Luc Godbout, l'ont prévenu que cette mesure aurait un effet dévastateur sur le taux de participation des femmes au marché du travail.  

Six mois de fréquentations font parfois des miracles. Un ancien péquiste, ardent souverainiste, s'est joint cette semaine à un fédéraliste convaincu. Les anglophones ont une expression bien utile pour décrire la chose: «La politique fait d'étranges compagnons de lit! »