Après les avocats, les comptables. Au moins 14 employés d'Ernst & Young à Montréal ont versé plus de 10 000$ à la coalition de François Legault avant qu'elle ne se transforme en parti politique.

Le compte est facile à faire grâce au fichier informatique que la CAQ a transmis par erreur lundi. La base de données contenait, sans les afficher, des renseignements comme l'adresse de courriel des donateurs, leurs numéros de téléphone et leur ville d'origine.

Ces renseignements démontrent aussi que certaines contributions n'étaient pas conformes à la Loi sur le financement des partis politiques. Ainsi, deux contributions (de moins de 50$) ont été envoyées de France et d'Angleterre par l'intermédiaire d'un site web. Roberto Bellini a versé 1000$ à partir d'Ottawa, ce qui serait interdit par la loi. La CAQ a toujours soutenu que son financement à titre d'organisme à but non lucratif (avant qu'elle devienne un parti) respecterait la loi québécoise.

Pour ce qui est d'Ernst & Young, Martin Koskinen, bras droit de François Legault, rappelle qu'il s'agit de l'ancien bureau de M. Legault avant qu'il ne fasse le saut en politique, en 1998. Legault est toujours ami avec Sylvain Vincent, son ancien employé, passé à la tête du bureau.

Parmi les dons qu'a reçus la société à but non lucratif, quelques-uns viennent de cadres d'Astral, dont André Bureau et Stephen Greenberg. Joint par La Presse il y a deux semaines, l'homme d'affaires beauceron Marcel Dutil avait soutenu qu'il ne voulait pas se mêler de politique après sa cuisante déconvenue sous la bannière de l'ADQ, en 2003. M. Dutil, le frère de Robert, ministre de Jean Charest, a néanmoins fait un chèque de 1000$ à la CAQ l'an dernier. Bernard Lamarre et son fils Jean ont aussi versé 1000$ chacun, tout comme Bernard et Patrick Lemaire, de Cascades. Un bonze du PLC, Éric Maldoff, a donné 250$. Les communicateurs Jean Saine et André Bouthillier ont aussi fait des chèques, respectivement de 1000$ et 500$.

Critiques

Le reportage de La Presse qui a révélé hier que pas moins de 46 avocats du bureau BCF à Montréal avaient contribué à la caisse électorale de la CAQ en 2011 a soulevé les critiques tant au PQ qu'au PLQ. En dépit des demandes répétées de La Presse, aucun élu de la CAQ n'a accepté de commenter l'affaire. Seul le directeur général du nouveau parti, Patrick Lebel, a insisté, par communiqué, sur le fait que toutes les contributions au parti étaient conformes à la loi.

«François Legault est en train de s'attacher les mains avec le bureau d'avocats BCF», a pour sa part observé Bernard Drainville, député péquiste de Marie-Victorin, dans un bref entretien avec La Presse. Il estime qu'on peut également se demander pourquoi M. Legault ne souscrit pas à la proposition du PQ de ramener de 1000$ à 100$ le plafond des dons qu'un électeur peut faire à un parti.

Du côté du PLQ, le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, croit que M. Legault devrait rembourser l'argent (plus de 300 000$) qu'il a amassé en tant que responsable de la Coalition à l'époque où elle n'était pas encore un parti politique.

Il a attaqué l'image publique de M. Legault, qui ne correspond pas à la réalité, selon lui. «Il nous dit: «Je suis bien meilleur, formidable.» Moi, je dis que, quand il fait un OSBL, ça ne trompe personne. Le minimum serait qu'il rembourse.»

Patrick Lebel, directeur de la CAQ, estime quant à lui que les accusations de M. Drainville sont «pernicieuses» et risquent d'entacher la réputation de toute la classe politique. Les contributions viennent d'individus, «et nul ne peut se permettre d'en remettre en cause la validité sauf le DGE».

Au ministre Fournier, la CAQ réplique qu'elle a respecté rigoureusement la loi à titre d'OSBL: «Si le ministre de la Justice lit les lois qui régissent cette situation, il verra que nous les respections en tout point», conclut M. Lebel.

L'esprit de la loi

Selon le ministre Fournier, l'esprit de la loi n'a pas été respecté puisque certains donateurs ont pu verser plus de 1000$ à la CAQ, une fois à l'organisme à but non lucratif et une fois au parti politique. La CAQ, selon lui, a su jouer sur les deux tableaux et, en contournant la loi, doubler les contributions reçues.

Marc Tanguay, président du PLQ, relève aussi que les dons reçus de l'étranger contreviennent à la loi.

Il estime que la liste rendue publique lundi, remplacée dès hier matin, «contenait des informations voilées, à la fois personnelles et, aussi, intrigantes». Ainsi, 157 donateurs n'ont tout simplement pas d'adresse, «alors que d'autres semblent résider à leur bureau», observe le PLQ. On note aussi que, dans une colonne, certains dons se voient attribuer une cote, S ou C. «Cela disait si le don avait été fait sur le site internet (S) ou par chèque (C)», a expliqué Jean-François Del Torchio, attaché de presse de M. Legault.

Enfin, une centaine de dons totalisant 36 000$ sont marqués de la mention «de FL et CS», probablement François Legault et Charles Sirois. «C'est une note que s'était mise le comptable pour inscrire les contributions de MM. Legault et Sirois, qui n'ont pas dépassé 1000$ chacun», a dit M. Del Torchio.